[AAC] L’engagement : quelles formes pour quels enjeux ?

Tal Madesta, journaliste indépendant et auteur de l’ouvrage Désirer à tout prix[1], évoque dans un post collectif du 16 octobre 2020 (sur son profil Instagram) la nécessité de (re)penser les stratégies de lutte. Au cœur d’un contexte sanitaire et social complexe, qui a mis un coup d’arrêt à la crise des « Gilets jaunes » et durant laquelle la réponse policière face aux manifestants est considérée comme particulièrement répressive[2], les auteurs proposent des pistes de réflexion pour envisager de nouvelles formes d’actions directes au sein des groupes militants. Les réseaux sociaux occupent une place désormais fondamentale au sein des stratégies de l’engagement à l’instar du mouvement #MeToo, initié en 2017 suite à l’affaire Weinstein encourageant les femmes à libérer leur parole face aux violences sexistes et sexuelles[3].

Cette question de la lutte, sous quelque forme qu’elle soit, est bien souvent au cœur de l’engagement. Celui-ci revêt des formes multiples, diverses, individuelles ou collectives, qu’il s’agisse d’un engagement civil, par le travail, les arts, l’action militante ou militaire, dans le cadre d’un conflit armé. Jean-Marc Glénat[4] écrit : « L’engagement, c’est se résoudre un jour, pour une raison ou une autre, à ne pas accepter le destin aussi contraire fut-il. C’est le choix de dire « oui » ou de dire « non » et d’assumer cette voie ; c’est surtout celui de dire « je », de s’exposer à la face du monde. C’est refuser la souffrance, celle des femmes, des enfants, des hommes où qu’ils soient ». Émanation profondément intime, l’engagement s’envisage malgré tout dans un ancrage souvent public et politique, en réponse à des institutions, des gouvernements et plus largement, des États. Mais il touche également à des sphères plus sensibles telles que la recherche scientifique, l’éthique ou encore le travail social. Cette notion de l’engagement est d’autant plus importante qu’elle nous plonge dans une actualité brûlante où tout un chacun est confronté à des enjeux cruciaux et vitaux, qu’il s’agisse de l’urgence climatique, de la crise liée au Covid-19, de l’accroissement des inégalités et des propositions politiques et sociales de plus en plus anxiogènes. L’engagement a toujours existé, sous des formes qui s’adaptent à leur contexte, de la transmission d’un message christique aux mécanismes actuels induits par la social-démocratie. On peut d’ailleurs se demander si la peur est un moteur à l’action et quelles en sont les limites rationnelles pour l’être humain, notamment face aux enjeux climatiques qui touchent notre époque[5].

À travers ces premières idées, nous percevons la définition de l’engagement comme inhérente à l’action, au passage à l’acte, à l’implication de l’individualité dans quelque chose de plus large qui parfois nous dépasse. Le terme lui-même révèle la nécessité de mettre quelque chose « en gage », et donc inéluctablement, sa propre personne, son temps, ses compétences, autrement dit, sa liberté. L’engagement subit également les limites liées à ce que l’on perçoit de lui, à ce qui paraît nécessaire et inévitable, à ce « gage » qui montre que l’engagement n’est pas gratuit et qu’il a un coût. Tal Madesta abonde dans ce sens en spécifiant le besoin de se libérer de certaines idées préconçues, notamment l’imaginaire de l’émeute et d’un engagement systémiquement posé sous le prisme de l’insurrection, de l’affrontement, créant au sein des milieux militants une véritable impuissance politique, le rapport de force avec l’État étant toujours déséquilibré. Ainsi, l’engagement et la relation à celui-ci évoluent constamment, se pensent à travers le renouvellement et l’adaptation au contexte social, politique, économique dans lequel ils s’inscrivent. Tal Madesta évoque alors les possibilités de se tourner vers l’éducation populaire et des actions de sensibilisation sur des domaines transversaux (sociologie, écologie, cybersécurité, autonomie alimentaire, etc.) et finalement, de se réapproprier des savoirs en-dehors des apprentissages traditionnels.

Ces pistes de réflexion sur le renouvellement de l’engagement montrent que celui-ci n’est pas irréversible et son évolution peut aussi impliquer d’en sortir ou du moins de le réorienter, voire de le remettre en question. Mathieu Blesson[6] évoque la question du désengagement comme un phénomène contemporain, aujourd’hui particulièrement lié à l’angoisse du passage à l’acte face à un avenir incertain, notamment sur le plan écologique. Les hommes politiques qui tentent de répondre à ce futur écologiquement fragile n’engagent pas qu’eux-mêmes mais tout un pays et participent de l’instauration du principe de précaution sans pour autant négliger la prise en compte de leur part de responsabilité dans les évolutions scientifiques et environnementales. Jean-Philippe Pierron[7] n’est pas sans rappeler que l’engagement n’offre plus les mêmes postures, les codes ont changé et l’effet communautaire de celui-ci a laissé la place, malgré tout à quelque chose de très individuel. Ainsi, l’engagement tend à sortir d’une action collective prédéfinie et la défense de toute forme de liberté s’implique dans l’intuition, la motivation personnelle. C’est finalement dans ce paradoxe qu’évolue l’engagement, coincé entre une volonté de changer les choses, voire le monde tout en se heurtant à des tendances individualistes (résultant parfois de la peur de la répression étatique) qui modifient les fonctionnements collectifs. Il s’agit surtout de comprendre que l’individu veut continuer d’exister à travers l’engagement collectif, sans sacrifier sa subjectivité à une organisation ou une idéologie.

Nous constatons que l’engagement connaît aujourd’hui de nombreuses évolutions, modifiant ses contours et son histoire. Mais il est fondamental de comprendre précisément les motivations de l’engagement, pourquoi s’engage-t-on, que défendons-nous ? Que souhaitons-nous préserver ? Autrement dit, pouvons-nous établir des valeurs communes à l’engagement, quelles que soient ses formes ? L’engagement, qui semble indéniablement lié à la lutte, peut-il s’envisager et se penser autrement ?

Organisatrices

  • Lucie ROUSSEAUX – doctorante en littérature française des XVIe et XVIIe siècles
  • Sophie-Andréa LAGRANGE – doctorante en sociologie
  • Harmonie MARIETTE – doctorante en histoire contemporaine
  • Sonia MHEDHBI-SORET – doctorante en histoire contemporaine

Date et lieu

2 février 2023, salle Georges Chevrier (salle 319) – Bâtiment Droit-Lettres, uB.

Modalités de contribution

Date limite de proposition : 25 novembre 2022.

La proposition est composée du titre de l’intervention et d’un résumé d’une page maximum.

Cette journée est ouverte à tous les doctorant(es) et docteur(es) intéressé(es) par ce sujet. Les communications donneront lieu à une publication dans la revue électronique Transversales.

Pour toute question ou renseignement :

  • lucie.rousseaux@u-bourgogne.fr
  • sophie.lagrange80@gmail.com
  • Harmonie.Mariette@u-bourgogne.fr
  • sonia.mhedhbi.soret@gmail.com

Bibliographie

CHAUDET Chloé, Écritures de l’engagement par temps de mondialisation, Paris, Classiques Garnier, 2016.

CHEBEL D’APPOLLONIA Ariane, Histoire politique des intellectuels en France, 1944-1954. 2. Le temps de l’engagement, Éditions Complexe, 1990.

DENIS Benoît, Littérature et engagement de Pascal à Sartre, Paris, Le Seuil, coll. « Points Essais », 2000.

GALLERON Ioana (dir.), Théâtre et politique : les alternatives de l’engagement, Presses Universitaires de Rennes, 2012.

GIRAUD Claude, Qu’est-ce que l’engagement ?, Paris, L’Harmattan, 2011.

ION Jacques, L’engagement au pluriel, Publications de l’Université de Saint-Étienne, 2001.

KAEMPFER Jean, FLOREY Sonia, MEIZOZ Jérôme (dir.), Formes de l’engagement littéraire (XVeXXe siècles), Lausanne, Antipodes, coll. « Littérature, culture, société », 2006.

PENNETIER Claude, PUDAL Bernard, Le souffle d’octobre 1917 : l’engagement des communistes français, Les Éditions de l’Atelier, 2017.

PERRINEAU Pascal (dir.), L’engagement politique : déclin ou mutation ?, Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, 1994.

Revue Contretemps, Critique de l’écologie politique, dossier : Pierre Bourdieu, le sociologue et l’engagement, n° 4, mai 2002, Paris, Textuel.

SERVOISE Sylvie, Le Roman face à l’histoire, La littérature engagée en France et en Italie dans la seconde moitié du XXe siècle, Rennes, PUR, coll. « Interférences », 2011.

SIMON-NAHUM Perrine, André Malraux : l’engagement politique au XXe siècle, Paris, Armand Colin, 2010.

THIERRY Laurent, Le roman français au croisement de l’engagement et du désengagement (XX-XXIe siècles), Paris, L’Harmattan, 2015.

WIEVIORKA Michel (dir.), Raisons et conviction : l’engagement, Paris, Textuel, 1998.

Notes

[1] MADESTA Tal, Désirer à tout prix, Paris, Éditions Binge Audio, 2022.

[2] 24 manifestants ont été éborgnées et 5 personnes ont eu une main tranchée. Statistiques établies par Amnesty International France, dans un article publié en ligne le 19 novembre 2019. Gilets jaunes : un bilan inquiétant – Amnesty International France.

[3] TWOHEY Megan, KANTOR Jodi, #MeToo, l’enquête qui a tout déclenché, Paris, Éditions Charleston, 2022.

[4] GLENAT Jean-Marc, « Retour sur l’engagement. À quoi rêvions-nous ? Qu’est-ce qui les fait se lever ? » Champ social, « Le Sociographe », 2018/1 n° 61, p. 11 à 23.

[5] JORION Paul, Le dernier qui s’en va éteint la lumière, essai sur l’extinction de l’humanité, Paris, Fayard, 2016.

[6] BLESSON Matthieu, « Le désengagement politique : analyse d’un phénomène contemporain » L’Esprit du temps « Topique », 2013/3 n° 124, p. 153 à 166.

[7] PIERRON Jean-Philippe, « L’engagement. Envies d’agir, raisons d’agir » in Éditions de l’Association Paroles« Sens-dessous », 2006/1 n° 0, p. 51 à 61.

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