[AAA] Hôpital : réformes, crises et résistances
Le dossier sera coordonné par :
- Maud Gelly (CRESPPA-CSU), maud.gelly@cnrs.fr
- Joseph Hivert (IRIS-Université de Lausanne) joseph.hivert@unil.ch
- Alexis Spire (IRIS) alexis.spire@gmail.com
« Le meilleur moyen de soulager l’hôpital, c’est de ne pas tomber malade ». La formule, prononcée par le Premier ministre quelques jours avant l’annonce du deuxième confinement, résume la logique qui a conduit le gouvernement à restreindre brutalement les déplacements et l’activité, au nom de la santé publique. Ces mesures inédites, aux conséquences sociales, économiques et sanitaires, incalculables pour le moment, ont été justifiées par la nécessité de préserver l’hôpital d’un afflux de malades. En mars 2020, et dans une moindre mesure en octobre 2020, le « plan blanc » s’est de surcroît traduit par l’annulation d’une large majorité d’opérations chirurgicales, de consultations, et d’hospitalisations programmées. Cedispositif visant à libérer des lits d’hospitalisation et des personnels pour faire face à l’épidémie de Covid-19 s’est révélé extrêmement coûteux pour les autres malades, qui ont vu leurs soins reportés.Loin des visions enchantées de personnels hospitaliers unis dans le combat contre l’épidémie et d’un gouvernement prêt à tous les sacrifices pour leur éviter de devoir « trier les malades », ce dossier entend éclairer les raisons sociales, politiques et organisationnelles qui ont conduit un service public –l’hôpital –à ne plus pouvoir répondre aux besoins de ses usager·es .
Ce projet de dossier de la Revue française des affaires sociales (RFAS) pour son quatrième numéro 2021 sera consacré aux réformes du monde hospitalier et aux crises et aux résistances qu’elles ont suscitées. La gestion de l’épidémie et les adaptations qu’elle a entraînées chez les soignants (priorisation des activités, réorganisation des services, évolution de la répartition des missions, etc.) pourront être prises en compte de manière transversale dans cette réflexion sur les transformations de l’hôpital. Les articles s’appuieront sur des matériaux empiriques, qualitatifs et/ou quantitatifs issus d’enquêtes permettant d’éclairer les évolutions des structures hospitalières avant ou après le déclenchement de l’épidémie. Des contributions comparant les crises, réformes et mobilisations à l’hôpital public avec celles qu’ont connues d’autres services publics sont bienvenues, ainsi que des comparaisons historiques ou internationales.
Réformes
À l’instar de beaucoup d’autres institutions étatiques, l’hôpital public est soumis depuis plusieurs années à des réformes successives qui se donnent pour objectif de diminuer les coûts et de rationaliser l’activité. Au-delà des dispositifs techniques et gestionnaires dont la tarification à l’activité (T2A) constitue l’aboutissement, ce premier axe sera consacré aux effets socialement différenciés de ces réformes sur le travail de différentes catégories de personnel hospitalier. Parmi les multiples politiques mises en œuvre, le développement de l’ambulatoire, c’est-à-dire la prise en charge de soins médicaux ou chirurgicaux en dehors du cadre traditionnel de l’hospitalisation complète, est source de nombreuses réorganisations. Ce qu’il est désormais convenu d’appeler le « virage ambulatoire » consiste à réorganiser les établissements et leurs services de façon à écourter la durée des séjours hospitaliers et à accroître le volume des soins et des services médicaux dispensés hors du milieu hospitalier. En transférant une partie de l’activité hospitalière vers la médecine dite « ambulatoire », qu’elle soit de « ville » ou de « proximité » , les réformes visent à répondre aux impératifs financiers (réduire les coûts) tout en soulignant les avantages d’une meilleure fluidité de la circulation des patients d’un espace professionnel à l’autre et d’une moindre exposition aux risques de maladies nosocomiales. Il serait intéressant d’explorer les effets de ce transfert d’activité sur les conditions de travail des personnels hospitaliers qui sont déjà particulièrement pénibles et dégradées. Il conviendrait également d’analyser les conséquences des récentes réformes sur la place occupée par les professionnel·les de l’organisation (cadres de santé, cadres de pôles), voire sur l’émergence de nouvelles fonctions (bed managers et consultant·es ), et sur les rapports de force entre les services hospitaliers : la logique de concentration des moyens sur les activités considérées comme rentables peut se traduire par d’importants écarts d’investissements en termes de travaux, de formation et de recrutements.
Quels en sont les effets sur les hiérarchies hospitalières, mais aussi sur la compétition entre (chefs de) services pour la captation des malades les mieux ajusté·es aux séjours courts ? Les conséquences peuvent également se mesurer sur le plan de la division genrée du travail à l’hôpital : secrétaires, aides-soignantes et infirmières sont souvent celles qui doivent couvrir, en toute discrétion, les défaillances de l’institution, permettant ainsi à ceux qui exercent les métiers les plus nobles et les plus visibles, notamment les médecins, de continuer à endosser le beau rôle de héros . Les effets des réformes visant à contenir les dépenses se mesurent également à l’aune des inégalités sociales et territoriales de santé. Quels sont les enjeux du transfert d’une partie de l’activité hospitalière vers la médecine dite « ambulatoire » pour des populations résidant dans des territoires sous-dotés en services médico-sociaux censés permettre la continuité des soins après la sortie de l’hôpital ? Que signifie l’hospitalisation à domicile pour des patient·es des fractions désaffiliées des classes populaires, vieillissant·es ou atteint·es d’une maladie chronique et isolé·es du fait de leur situation familiale, administrative ou économique instable ?
La liberté d’installation et de prescription des médecins se traduit par d’importantes inégalités territoriales qui peuvent se trouver accentuées par le transfert des soins de l’hôpital vers « la ville » et par un basculement du financement des soins, du régime obligatoire d’assurance maladie vers le régime complémentaire. Les contributions pourront tenter de faire apparaître par quelles homologies de positions les oppositions entre territoires riches et pauvres peuvent se retraduire et être accentuées dans l’espace de l’accès aux soins.
Crises
En 2020, l’activation à deux reprises en quelques mois du « plan blanc », habituellement associé à des situations d’urgence, invite à reconsidérer ce qui fait crise dans l’évènement. Dès l’apparition de l’épidémie de Covid-19, le terme de « crise » s’est imposé dans le débat public pour caractériser la gravité de l’épidémie, faisant le lien avec la « crise des urgences » et plus généralement avec le mouvement de contestation des personnels hospitaliers contre les réformes managériales et les restrictions de moyens d’une institution gérée à « flux tendus ». La décision du gouvernement de décréter un confinement généralisé sur l’ensemble du territoire au nom de la préservation de l’hôpital a contribué à placer cette institution au centre de la « crise de santé publique ». Au-delà des discours convenus valorisant le « courage » exceptionnel des soignant·es, l’enjeu de ce second axe est d’expliquer ce qui a permis à l’institution hospitalière et à ses personnels de faire face à cette vague épidémique inédite, sans pour autant s’effondrer. Les difficultés rencontrées pour faire face à l’épidémie de Covid-19 ont également remis au cœur de l’actualité les faibles dispositifs de régulation imposés aux cliniques privées par comparaison avec les missions et les contraintes toujours plus nombreuses qui pèsent sur l’hôpital public. Appréhender la crise de l’hôpital public dans ses différentes dimensions suppose de le resituer dans l’ensemble du système de soins, en étant attentif aux effets que l’essor du privé produit sur le vivier des médecins et des infirmièr·es encore disposé·es à sacrifier leur niveau de rémunération et leurs conditions de travail à la mission de service public. Cette attraction du privé est d’ailleurs loin d’être uniforme et inéluctable : elle varie selon la position de classe, de genre, et les capitaux scolaires des agents hospitaliers.
À cet écart qui se creuse entre deux univers s’ajoute la multiplication de dispositifs parallèles tels que les consultations privées à l’hôpital destinées à préserver l’attractivité de l’hôpital public pour les médecins spécialistes, et un recours croissant à la sous-traitance qui brouille les frontières entre secteur public et privé. Les contributions pourront être attentives à la sociologie des patient·es qui continuent à fréquenter le service public, par opposition à celles et ceux qui se tournent de plus en plus systématiquement vers le privé , et aux logiques de choix du service public ou du privé, selon les propriétés sociales des usager·es, la gravité des maladies, l’urgence ressentie, les filières de soins entre la « ville » et l’hôpital ou l’offre hospitalière sur le territoire. De tels effets de concurrence induisent des formes de ségrégation qui, à terme, pourraient saper le consentement à contribuer pour un système de moins en moins universel. Si l’épidémie du Covid-19 peut être analysée comme une crise de santé publique, elle doit aussi être rapprochée des crises qui l’ont précédée dans l’histoire récente, et notamment la crise de la canicule de 2003. Dans les deux cas, la surmortalité de personnes âgées est venue rappeler que les chances de survie des individus peuvent dépendre des équipements de réanimation et des places disponibles dans les services de soins intensifs, sachant que les dotations budgétaires des établissements sont loin d’être équivalentes sur tout le territoire . Le nombre important de résident·es malades des Ehpads qui ont été envoyé·es dans des services hospitaliers et qui y sont décédé·es , exige d’engager une réflexion sur la place de la fin de vie dans le système hospitalier. Le cas des résident·es malades des Ehpads et des services psychiatriques qui, à l’inverse, n’ont pas été transféré·es dans des services hospitaliers exige également d’étudier les logiques de « tri » effectué entre patient·es (par qui, selon quels critères et avec quelle légitimité ?) avant même l’arrivée à l’hôpital.
Résistances et acceptations des personnels hospitaliers
Si tous les soignant·es s’accordent sur le constat d’une dégradation des conditions de travail, leurs réactions peuvent considérablement varier selon leur caractéristiques sociales, leur trajectoire, leur socialisation militante, leur service et leur institution d’appartenance . La triade d’Hirschman permet d’envisager, en première approche, l’éventail des stratégies possibles : la sortie (exit) consisterait à quitter l’hôpital public pour rejoindre le privé ou changer complètement de perspective professionnelle ; la prise de parole (voice) pourrait s’apparenter aux multiples mobilisations qui ont eu lieu ces dernières années, même s’il s’agit d’un secteur où elles sont réputées difficiles en raison des obligations de service minimum ; la loyauté (loyalty) engloberait tous les comportements consistant à rester à son poste et à remplir sa mission, sans pour autant s’empêcher de formuler des critiques à l’égard des évolutions en cours. Les mobilisations collectives des personnels hospitaliers ont fait l’objet de nombreux travaux mais les résistances plus discrètes qui se déploient au sein même des espaces de travail de l’hôpital sont beaucoup moins étudiées. Il pourrait également être intéressant de se pencher sur les configurations improbables qui peuvent émerger au sein d’institutions hospitalières traversées par de multiples contradictions : comment expliquer que de nombreux personnels soignants ne formulent pas en termes politiques leur exaspération à l’égard de la dégradation des conditions de travail ? Comment comprendre qu’une partie des élites hospitalo-universitaires soient devenue hostiles aux réformes managériales après les avoir longtemps promues comme le seul avenir possible pour le service public ?
Des informations complémentaires sur le contenu de cet appel à contribution peuvent être obtenues auprès des coordonnateurs aux adresses suivantes : maud.gelly@cnrs.fr joseph.hivert@unil.ch alexis.spire@gmail.com
Modalités de contribution
Les auteur·e·s souhaitant proposer à la revue un article sur cette question devront l’adresser avec un résumé et une présentation de chaque auteur·e (cf. les « conseils aux auteurs » de la RFAS [en ligne]) à cette adresse: rfas-drees@sante.gouv.fr
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