[AAA] : Les images au cœur des rapports sociaux. Vers de nouveaux régimes de représentation et de visibilité ?
Revue /Étude de communication/ n°54*
Site web de la revue : : https://journals.openedition.org/edc/ <http://journals.openedition.org/edc/>
*Dossier coordonné par :
Ulrike Lune Riboni (CEMTI, Université Paris 8)
Raphaële Bertho (InTRu, Université de Tours)*
L’industrie médiatique, presse et audiovisuelle, parait omnipotente dans la sélection et la diffusion des images qui vont faire l’information ou « faire l’histoire ». Comme l’ont démontré plusieurs travaux, les médias traditionnels sont en effet les principaux acteurs de la production des icônes visuelles (Hariman et Lucaites 2007, Lavoie 2010), par la répétition et la « circulation circulaire » (Bourdieu, 1996) en particulier. L’avènement des réseaux sociaux numériques au xxi^e siècle semble cependant mettre à mal cette hégémonie (Gunthert 2015) et les régimes de visibilité et de représentation à l’œuvre. Si le système médiatique continue d’être une instance de validation et de construction des représentations, il doit également prendre en compte les tendances qui, en particulier en ligne, désignent d’autres images, d’autres actualités et d’autres histoires. Les concepts de représentation (Hall, 1997) et de visibilité (Thompson, 2005, Voirol 2005a, Le Blanc, 2009) sont ainsi au cœur des rapports sociaux en ce qu’ils définissent les possibilités et modalités d’existence publique d’acteurs.trices individuel.le.s ou collectifs.ves exclu.e.s de la sphère publique légitime (voir par exemple Dalibert et Doytcheva, 2014). Ces concepts désignent « les processus par lesquels des groupes sociaux (…) bénéficient ou non d’une attention publique » (Voirol 2005a) mais aussi les formes de cette « attention » et la construction du sens ainsi établi. Si ces concepts engagent bien plus que les espaces du visible, la prolifération des images ou plutôt des pratiques de l’image et les querelles interprétatives qui les entourent suggèrent que le champ visuel constitue plus que jamais un champ de bataille.
Les réseaux sociaux numériques (RSN) sont à la fois des espaces d’injonction à la visibilité et des espaces où se construisent des revendications de visibilité. Pour certain.e.s auteur.e.s en effet, un « renversement de valeurs » a eu lieu dans les sociétés occidentales, il faudrait désormais se livrer à une « exhibition de l’intime pour exister » (Aubert et Haroche, 2011) et les RSN contribueraient particulièrement à encourager cette exhibition. Mais « exister » constitue parfois une exigence politique qui engage la reconnaissance (Honneth 2013) de l’individu ou du groupe comme membre légitime de l’espace social. Il s’agit alors d’une véritable lutte pour la visibilité (Voirol 2005b) et la reconnaissance d’identités, de récits ou de pratiques soumis à un régime d’invisibilisation politique et sociale, dans laquelle l’image joue un rôle important. Ainsi, des femmes s’exposent en images, pour dire la fierté de leur corps non-conforme et/ou pour rendre visible ce que le monde social contraint à l’invisibilité : seins (#freethenipples), sang des règles (photographie de Rupi Kaur, #bloodnormal), poils (#hairylegclub, #bodyhairpositivity, etc.). Certaines se montrent nues, certaines se montrent sans maquillage, certaines dévoilées, certaines au contraire avec leur voile faisant de ces gestes des expressions politiques dont le sens varie chaque fois selon les contextes (Fraisse 2014). Ailleurs, des personnes trans et/ou non-binaires mettent en image leur transition ou leur apparence pour dire une identité ou revendiquer simplement un droit d’existence. Ailleurs encore, des images de « violences » émeutières et des images de violences policières se font face, s’opposent et désignent les limites d’une lutte de sens autant que de reconnaissance (Meyer et Tanner 2017). Au-delà de ces pratiques militantes ou revendicatives, une myriade d’autres manières de montrer et de se montrer font exister des individus, des groupes, des histoires ou des récits exclus des représentations.
Les rapports sociaux étant définis pour partie par les régimes de visibilité dans lesquels les différents acteurs.trices se trouvent saisi.e.s, il s’avérera ainsi nécessaire de délimiter les espaces d’apparition et de circulation des productions visuelles. On encouragera les travaux portant sur les stratégies de dissémination des représentations « alternatives » sur les réseaux sociaux numériques, sur les espaces collectifs qu’elles construisent /effectivement/, et sur les échecs potentiels de ces stratégies (Cardon et Granjon 2010). On cherchera à prendre en compte les régimes de représentation et les régimes de visibilité, considérant en effet que représenter ne suffit pas à visibiliser, et visibiliser ne suffit pas à obtenir la reconnaissance (Voirol, 2005b). Par ailleurs, les réseaux sociaux numériques ne sont pas dénués de frontières, de podiums autant que d’ombres.
Il s’agira ainsi d’interroger tant les représentations visuelles hégémoniques que les productions visuelles des acteurs.trices marginalisé.e.s, minoritaires ou minorisé.e.s, ces catégories pouvant sans doute faire elles-mêmes l’objet de discussions. On privilégiera les approches dialectiques sur les liens qu’entretiennent ces espaces et formes de représentations, hégémoniques et contestataires, afin de saisir comment s’articulent discours et contre-discours, circulations légitimes et contre-flux, visualité et contre-visualité (Mirzoeff, 2011). Il s’agira de même d’éviter toute conception dichotomique, confrontant une normativité présumée des espaces télévisuels et cinématographiques à une supposée neutralité des représentations circulant originellement sur les réseaux sociaux. On considérera les interactions et phénomènes d’influences réciproques des différentes sphères de production et de diffusion à travers une attention accrue portée sur les usages comme sur les phénomènes de réception. Les réseaux sociaux numériques mêlent en effet aujourd’hui des productions médiatiques autant que des productions hors du champ professionnel, dites amateurs, articulant la diffusion de contenus originaux avec les phénomènes d’appropriation. Il s’agira ainsi de proposer des analyses de corpus, d’images, de discours sur les images ou d’usages des images, et de prendre en compte les pratiques et les circulations tout autant que les images elles-mêmes.
Plusieurs axes pourront ainsi être explorés.
Axe 1 Querelles interprétatives et conflits de sens
Car l’image n’est rien sans son texte et son contexte, les enjeux du renouvellement des régimes de représentation et de visibilité contemporains passent par des querelles d’interprétation. On pourra interroger ici le développement des pratiques interprétatives, sous forme de mise en relations d’images par exemple (montages photo, /mashup/ et mèmes), où les usages conversationnels s’articulent avec des usages plus politiquement marqués dans le cadre de situations électorales ou contestataires, opérant un déplacement ponctuel des pratiques au sein de dispositifs identiques. Par ailleurs, le concept même d’interprétation et de construction de sens est au centre des enjeux. Ainsi, le sens donné aux images fait lui-même l’objet d’une lutte où l’enjeu est d’être reconnu.e comme le.la détenteur.trice légitime du sens. On pourra observer ici les situations de mise en cause de l’autorité du professionnel (de la politique, de l’information, de l’Histoire, de l’analyse d’image) dans l’interprétation des images par les regards qui se revendiquent comme situés.
Axe 2 Représentation, visibilité et reconnaissance
L’image accompagne aujourd’hui les revendications de reconnaissance d’acteurs.trices marginalisé.e.s, minoritaires ou minorisé.e.s. Elle apparaît comme un opérateur de la mise en débat des revendications, de la construction partagée du sens et dans certains cas comme la condition /sine qua non/ de l’accession à une visibilité dans la sphère publique. On observera ici avec attention les stratégies de mise en image et de mise en circulation de ces images destinées à produire de nouveaux régimes de représentation ainsi que les phénomènes de réception de ces productions visuelles. On pourra questionner les pratiques revendicatives autant que les pratiques ne se définissant pas comme telles, pour tenter de participer au développement du concept même de visibilité. On pourra également interroger ici les refus de représentation, les évitements ou les invisibilisations volontaires.
Axe 3 Nouvelles normativités
L’émergence de nouveaux régimes de représentation suppose potentiellement une mise en cause de normes visuelles établies, des stéréotypes télévisuels aux conventions sociales du « représentable » entendues dans une acception large. Les normes du « photographiable » (Bourdieu, 1965) qui définissent ce qu’il est légitime ou convenable de donner à voir, ne semblent pas subir de transformations radicales : la mort, même non spectaculaire, reste un tabou social par exemple. Qu’en-est-il des normes qui régissent le partage des images ? Le « photographiable » doit en effet désormais être pensé également comme un « partageable » dont les limites restent jusqu’à présent peu claires et qui désignent de potentiels interdits de représentation. C’est /in fine/ tout le rapport à ce qui doit/peut être montré ou caché et ce qui détermine les espaces privés et publics qui mérite d’être interrogé à l’aune des pratiques contemporaines. Plus largement, les usages et les pratiques des images font potentiellement l’objet comme toute pratique sociale de prescriptions normatives qui restent à définir. Enfin, on pourra questionner ici les reconfigurations potentielles des normes dominantes.
Bibliographie
Aubert N., Haroche C. (2011). /Les tyrannies de la visibilité : Être visible pour exister ?/ Toulouse, Eres.
Bourdieu P. (1965). /Un art moyen, Essai sur les usages sociaux de la photographie/. Paris, Éditions de Minuit.
Bourdieu P. (1996). /Sur la télévision/. Paris, Liber-Raisons d’agir.
Cardon C., Granjon F. (2010). /Médiactivistes/. Paris, Presses de Sciences Po.
Dalibert M., Doytcheva M. (2014). « Migrants roms dans l’espace public : (in)visibilités contraintes ». /Migrations-Société/, vol. 152, p. 75-90.
Fraisse G. (2014). /Les excès du genre, Concept, image, nudité/. Paris, Éditions Lignes.
Gunthert A. (2015). /L’image partagée : la photographie numérique/. Paris, Textuel.
Hall S. (1997). /Cultural representation and signifying practices/. New York, Sage.
Hariman R., Lucaites J. L. (2007). /No Caption Needed. Iconic Photographs, Public Culture, and Liberal Democracy/. Chicago, University of Chicago Press.
Honneth A. (2013). /La lutte pour la reconnaissance/. Paris, Folio.
Lavoie V. (2010). /Photojournalismes. Revoir les canons de l’image de presse/. Paris, Hazan.
Le Blanc G. (2009). /L’invisibilité sociale/. Paris, Presses Universitaires de France.
Meyer M., Tanner S. (2017). « Filmer et être filmé : la nouvelle visibilité policière à l’ère de la sousveillance ». /Réseaux/, vol. 201, p. 175-205.
Mirzoeff N. (2011). /The Right to Look. A Counterhistory of Visuality/. Durham, Duke University Press.
Thompson J. (2005). « La nouvelle visibilité ». /Réseaux/, vol. 129-130, p. 59-87.
Voirol O. (2005a). « Présentation. Visibilité et invisibilité : une introduction ». /Réseaux/, vol. 129-130, p. 9-36.
Voirol O. (2005b). « Les luttes pour la visibilité. Esquisse d’une problématique ». /Réseaux/, vol. 129-130, p. 89-121.
Sélection des propositions
La sélection des propositions de contribution se fait en deux temps :
* sur la base d’un résumé de 1 500 à 2 000 mots qui présentera les
objectifs, l’argumentation et l’originalité de la proposition ainsi
que quelques orientations bibliographiques,
* pour les résumés retenus, une seconde évaluation sera réalisée sur
la base des articles définitifs.
Les instructions aux auteurs sont disponibles sur le site de la revue : https://journals.openedition.org/edc/668 L’évaluation sera assurée de manière anonyme par au moins deux lecteurs du comité. L’envoi des résumés au plus tard le *15 avril 2019* au format Word (.doc) ou PDF se fait aux deux adresses suivantes :
* uriboni02(@)univ-paris8.fr
<mailto:uriboni02@univ-paris8.fr?subject=Edc n°54 – Proposition>
* raphaele.bertho(@)univ-tours.fr
<mailto:raphaele.bertho@univ-tours.fr?subject=Edc n°54 – Proposition>
Les propositions d’articles et les articles définitifs d’une longueur de 35 000 signes (espaces, notes de bas de page et bibliographie compris) peuvent être soumis en français ou en anglais. Aucun engagement de publication ne peut être pris avant la lecture du texte complet.
Calendrier
15 avril : soumission des résumés pour évaluation
15 mai : notification de l’acceptation ou du refus
15 septembre : remise de la version complète des articles
15 décembre 2018 : réception des versions définitives des articles
juin 2019 : publication du numéro 54 d’Études de communication
Comité de lecture (en cours de constitution)
Anne Beyaert-Geslin, MICA / Université Bordeaux-Montaigne
Maxime Boidy, LISAA / Université Paris-Est Marne-la-Vallée
Andrea Mubi Brighenti, Université de Trento
Fathallah Daghmi, Migrinter / Université de Poitiers
Marion Dalibert, Geriico / Université de Lille
André Gunthert, LIVHIC / EHESS
Madeleine Pastinelli, Celat / Université de Laval
Nelly Quemener, IRMÉCCEN / Université Sorbonne Nouvelle
Alexandra Saemmer, CEMTI / Université Paris 8
Giovanna Zapperi, InTRu / Université de Tours
Appel à articles pour la rubrique /Varias/
/Études de communication/ lance un appel à articles permanent pour sa rubrique /Varias/.
Toutes les propositions dans les différents domaines de la recherche en SIC sont les bienvenues. Les consignes de rédaction sont disponibles sur le site de la revue : https://journals.openedition.org/edc/.