[AAA] Les risques dans l’industrie aéronautique et spatial
La revue Nacelles consacrera l’un de ses prochains dossiers à la question des risques dans le secteur aéronautique et spatial. Cette dernière doit s’entendre de différentes façons. Il s’agira d’une part d’envisager la perception des risques, leur qualification et leur gestion. Ces risques peuvent aussi bien avoir des origines internes et/ou externes aux organisations.
La qualification et la gestion des risques « internes » aux organisations
Les programmes spatiaux et aéronautiques sont porteurs de risques technologiques, pouvant mener à des catastrophes humaines et/ou économiques. A contrario des vols et des missions spatiales habitées, le lancement d’un satellite représente peu de risque létal. Néanmoins, si un accident et/ou un problème au niveau du logiciel de traitement de données venait à survenir, cela pourrait avoir des retombées financières et des impacts sur la réputation et la crédibilité des différentes organisations participantes au projet.
Cela a déjà pu être observé dans le passé avec la mission Challenger : l’échec de cette mission et la mort de l’équipage ont eu de graves répercussions pour la NASA et son programme spatial. Les acteurs doivent ainsi identifier et gérer les risques pour limiter leurs impacts sur les projets développés. Se pose alors la question de la perception des risques, de leur gestion et de leur qualification : un ingénieur ne percevra pas un risque de la même manière qu’un autre scientifique ou qu’un profane[1]. Cette difficulté à saisir, gérer et hiérarchiser les risques a induit la création d’une nouvelle pratique : « l’évaluation des risques » qui permet de les identifier, les caractériser et les quantifier. La gestion des risques par les organisations est donc un pan à prendre en considération. La recherche de Diane Vaughan[2] sur la catastrophe Challenger a permis de mettre en lumière une déviance organisationnelle, notamment vis-à-vis des risques et de leur gestion.
La gestion des risques « externes » aux organisations
Ces risques peuvent être envisagés de manière externe à l’industrie à travers les différentes crises que peut connaître le secteur : d’abord des crises comme celle de la Covid puis les injonctions de plus en plus fortes posées par la crise écologique. Les réponses face aux conséquences principalement économiques et industrielles de telles crises peuvent être guidées par l’acquisition de nouvelles parts de marché concurrentielles[3] au moyen de l’innovation[4]. Ceci se matérialise dans le secteur aéronautique par le développement d’un avion « ZEROe » (zero emission) par Airbus reposant sur la recherche et le développement d’une technologie de batteries électriques mais aussi d’un avion mu par de l’hydrogène. Les moteurs-fusées utilisent majoritairement l’hydrogène, dont la production est en grande majorité fortement carbonée puisque produite par vaporeformage (94% en 2018 selon le ministère de la Transition Écologique). L’hydrogène vert – décarboné – est donc un enjeu fort en ce qui concerne la transition énergétique dans le milieu spatial et de l’aéronautique.
À travers ces exemples sur les risques internes et externes aux organisations, nous souhaitons montrer que de nombreuses thématiques peuvent être abordées et croisées dans le cadre de ce dossier. Plus précisément, à titre indicatif, voici des thèmes et des questionnements qui nous semblent pertinents au regard des enjeux actuels et passés :
- La gestion des risques techniques ou technologiques : Comment le secteur aérospatial gère les risques suite au développement de nouvelles technologiques et/ou technique ? Quelles ont été les évolutions historiques de cette gestion ? Comment la gestion des risques s’est-elle professionnalisée ?
- Les problèmes soulevés par l’internationalisation : Quels sont les enjeux liés à l’aspect international des projets dans le secteur aérospatial ? Comment sont-ils pris en compte par les acteurs ? Un retour historique peut-il éclairer les enjeux actuels ?
- Les stratégies climat du secteur aéronautique et spatial : Quelles sont les stratégies climat concrètes du secteur et comment évoluent-elles ? Comment se déploient concrètement les stratégies climat dans le secteur ? Comment les nouvelles stratégies vertes impactent l’organisation du travail dans le secteur (digitalisation, robotisation etc.) ? Comment les groupes professionnels se représentent l’avenir du secteur aérien face à la crise climatique ? Comment le secteur gère la transition technique et/ou technologique de la motorisation ?
- Les conséquences de la crise sanitaire : Comment la crise sanitaire a engendré ou renforcé des changements organisationnels ? Comment la crise Covid a renforcé la logique du « au plus juste » dulean management et quelles sont les conséquences sur les cadences et les logiques d’ingénierie ? Après la crise Covid et les nouvelles injonctions climatiques, quelles sont les évolutions concrètes des systèmes industriels locaux dans le secteur ?
- Les mutations économiques : Comment les nouvelles stratégies déployées face aux crises conjoncturelles peuvent être la cause de restructurations ? Comment se réorganise la concurrence internationale autour des enjeux de décarbonation de l’aviation et des « Green Tech » entre Boeing, Airbus et Comac ? Quel rôle joue la recherche le développement sur les « Green Tech » et sur le rebond économique du secteur ?
Ce dossier a une visée résolument internationale et interdisciplinaire. Notre souhait est de rassembler des contributions d’horizons disciplinaires divers, permettant de croiser les regards des spécialistes sur les mutations que connaissent ces secteurs de pointe que sont l’aéronautique et le spatial. Sociologues, anthropologues, économistes, experts en relations internationales, philosophes mais aussi historiens sont les bienvenus, ainsi que les spécialistes d’astronomie et d’astrophysique dans la mesure où ils et elles proposeront des articles réflexifs sur les pratiques et les transformations associées aux risques de l’industrie aérospatiale.
Coordination scientifique
- Capucine MOUROUX, université Toulouse 2
- Axelle VANHAECKE, université Toulouse 2
Modalités de soumission
Les propositions d’article, en français ou en anglais, seront adressées par mail à Capucine MOUROUX (capucine.mouroux@univ-tlse2.fr) et Axelle VANHAECKE (axelle.vanhaecke@univ-tlse2.fr).
Elles seront envoyées, au plus tard, le vendredi 25 novembre 2023.
Les propositions retenues feront, par la suite, l’objet d’une demande d’article.
Bibliographie indicative
Botti Jean, « Airbus Group: A Story of Continuous Innovation », The Aeronautical Journal, janvier 2016, vol. 120, no 1223, p. 3‑12.
Domergue François, « Performance industrielle et démarche “développement durable” dans l’aéronautique : le cas SNECMA », Management & Avenir, 2009, vol. 29, no 9, p. 275‑292.
Jézégou Joël et Sufyan Umair, « Safety and Certifiability Evaluation of Distributed Electric Propulsion Airplane in EASA CS-23 Category », IOP Conference Series: Materials Science and Engineering, 1 janvier 2021, vol. 1024, no 1, p. 012076.
Leriche Frédéric et Zuliani Jean-Marc, « L’industrie aéronautique toulousaine et la déplétion pétrolière : quelles perspectives ? », Géographie, économie, société, 2007, vol. 9, no 1, p. 19‑38.
Maréchal Jean-Paul, « La lutte contre le changement climatique et la transition énergétique chinoise », Mondes en développement, 2020, vol. 191, no 3, p. 49‑65.
Patarin-Jossec Julie, La fabrique de l’astronaute. Ethnographie terrestre de la station spatiale internationale, Paris, (coll. « Editions Petra »), 2021, 234 p.
Slovic Paul, « Perception of Risk », Science, 17 avril 1987, vol. 236, no 4799, p. 280‑285.
Vaughan Diane, The Challenger launch decision: risky technology, culture, and deviance at NASA, Chicago, London, 1996, xv+575 p.
Zabusky Stacia E., Launching Europe: An Ethnography of European Cooperation in Space Science, s.l., Princeton University Press, 1995, 276 p.
Notes
[1] Paul Slovic, « Perception of Risk », Science, 17 avril 1987, vol. 236, no 4799, p. 280‑285.
[2] Diane Vaughan, The Challenger launch decision: risky technology, culture, and deviance at NASA, Chicago, London, 1996, xv+575 p.
[3] Jean-Paul Maréchal, « La lutte contre le changement climatique et la transition énergétique chinoise », Mondes en développement, 2020, vol. 191, no 3, p. 49‑65.
[4] Joël Jézégou et Umair Sufyan, « Safety and Certifiability Evaluation of Distributed Electric Propulsion Airplane in EASA CS-23 Category », IOP Conference Series: Materials Science and Engineering, 1 janvier 2021, vol. 1024, no 1, p. 012076 ; François Domergue, « Performance industrielle et démarche “développement durable” dans l’aéronautique : le cas SNECMA », Management & Avenir, 2009, vol. 29, no 9, p. 275‑292 ; Jean Botti, « Airbus Group: A Story of Continuous Innovation », The Aeronautical Journal, janvier 2016, vol. 120, no 1223, p. 3‑12.
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