[AAA] Systèmes de santé et santé des systèmes

En France, ce qu’il est convenu de nommer « système de santé » est souvent confondu avecl’un de ses sous-systèmes qu’est le système de soins, lequel décrit les moyens organisationnels etstratégiques mis en place pour assurer la continuité et la qualité des prestations de santé médicaleet médico-sociale. Il inclut cependant plus largement la prévention des pathologies, ainsi que lesprincipes éthiques régissant les pratiques soignantes, tels que la prise en compte de la dignité dupatient et de son autonomie. Ces principes sont eux-mêmes inscrits dans la loi, les rendantcontraignants pour les personnels soignants. La mise en application effective de ces principes esttributaire de logiques économiques et du bon fonctionnement du système politique. La « santé » du système de santé se trouve de ce fait tributaire de la « santé » d’autres systèmes eux-mêmesimbriqués, organisationnels, économiques, scientifiques, politiques, etc.

Ce numéro sollicite, d’une part, des contributions portant sur les systèmes de santé tels qu’ils sont déterminés dans leur fonctionnement par leur appartenance à d’autres systèmes complexes. D’autre part, nous souhaitons ouvrir une réflexion sur la « santé des systèmes » au senslarge. Cela suppose d’interroger ce que l’on peut entendre par la « santé » d’un système en particulier(économique, politique, de soins, etc.) ou en général, par exemple via un retour réflexif et/ou critique sur d’autres notions plus traditionnellement employées telles que la « performance».

Nous encourageons également les contributions mettant en discussion la définition toujours largement employée de la santé des individus et des populations, entendue comme « un étatcomplet de bien-être physique, mental et social », selon la constitution de l’Organisation Mondialede la Santé de 1946. À noter que, dans cette même constitution, il est précisé : « La santé de tous les peuples est une condition fondamentale de la paix du monde et de la sécurité ; elle dépend dela coopération la plus étroite des individus et des États ». Loin d’une définition strictement atomiste,le texte de l’OMS ouvre la voie à une prise en compte multifactorielle de la santé, pointantde fait les interdépendances entre les niveaux d’action (individuel et étatique) et celles entre lasanté, la paix et la sécurité. La définition de l’OMS n’en reste pas moins idéaliste et statique, ce qui la rend difficilement objectivable. On peut s’interroger en effet sur qui sont ces citoyens et citoyennes, pouvant se revendiquer d’un « état complet de bien-être physique mental et social » ; tout en questionnant les critères et les seuils de « mauvaise santé » des peuples, induisant un déficitde sécurité et mettant à mal la paix dans le monde. En cela précisément, l’approche systémique pourrait permettre de proposer une définition dynamique de la santé et des interactions entre les systèmes.

Il nous semble pertinent également d’interroger le concept de « One Health », apparu au début des années 2000. Ce concept vise à appréhender la santé humaine intégrant des interactionsréciproques avec la santé d’autres systèmes comme l’environnement et la production agricole. Onpense par exemple à l’utilisation d’insecticides, qui va contaminer les sols au même titre que les animaux élevés en plein air, exposant en retour l’humain qui les consomme à des risques sanitaires par zoonose.

De manière extensive, les systèmes de santé considérés dans le cadre de cet appel à articles pourront être appréhendés à plusieurs niveaux, considérés individuellement ou de manière corrélée:

– le niveau macrosocial des systèmes de santé et de soins nationaux ; de leur version territorialisée en « agences régionales de santé » dans le cas français ; d’hôpitaux ; d’EHPAD ou autres services et établissements médico-sociaux ou sociaux ;

– le niveau plus microsocial des interactions soignants-patients ;

– des approches holistiques de la santé individuelle. En d’autres termes, nous proposons de nous écarter de la définition institutionnelle d’un système de santé, pour l’appliquer aux organisations en charge de soigner et/ou de gérer ouplanifier la prévention en santé.

Les contributions pourront ainsi proposer une interprétation de ce qui est entendu par lanotion de « santé » et les systèmes dans lesquels elle s’insère, de même que ce qu’il est possibled’entendre par la « santé » d’un système donné (en proposant par exemple des indicateurs et/ouune manière d’étudier les boucles de rétroaction au sein des systèmes). Nous proposons plusieurs axes thématiques, dont la liste ci-après n’est pas exhaustive :

* Les systèmes de santé voient continuellement leur fonctionnement remis en cause et être sujet à des politiques importantes de transformations, ce qui interroge en premier lieu quant à la finalité de ces politiques : améliorer la santé des populations et mieux soigner les individus, réduire les dépenses de santé afin de « soigner le système de santé », ou les deux de manière corrélée ? Ainsi, plus généralement, se pose la question de la santé des systèmes(dont l’individu lui-même et ses composantes bio-psycho-sociales), de sa définition et des identités de ces systèmes. Dès lors, que peuvent nous apprendre les études de modélisation et simulation des écosystèmes sur leur fonctionnement et leur santé, comme par exemple : l’impact de la perte massive de la biodiversité sur des indicateurs socio-économiques ? Comment est évalué le fonctionnement des systèmes scolaires ? Comment la « santé » des organisations,en continuelle transformation face aux défis de la digitalisation, est-elle analysée ? En quoi les efforts de l’OMS visant à développer une approche globale des systèmes de santé,et plus récemment le concept de « One Health », permettent-ils d’améliorer la santé deces systèmes ? Extraire les points communs de ces approches pourrait permettre de définirce qu’est « la bonne santé d’un système » et de mettre en évidence des stratégies d’interventions favorisant des évolutions favorables et résilientes d’un système afin de répondre à leurs missions.

* Quels sont les impacts des modes de management sur la santé des systèmes de santé, eux mêmes tributaires de choix politico-économiques, liés notamment au New Public Management, niant les différences de mode de gestion entre structures privées et publiques ? Nous pensons par exemple à la tarification liée à l’acte (T2A), ayant vocation à évoluer vers un financement sur « objectifs de santé publique », négociés avec les ARS, dans le milieu du sanitaire. Quelles définitions de la santé sont induites par ces modes de tarification ?Permettent-ils une prise en soins efficiente des patients selon une perspective globale, impliquant la mise en cohérence de leurs parcours de vie, de santé et de soins ?

* Qu’est-ce que la digitalisation des champs du sanitaire, social et médico-social, génère en termes de nouvelles pratiques soignantes ou de déplacement des finalités et frontières organisationnelles ? Va-t-on vers une meilleure santé des systèmes de santé et despopulations, grâce à l’« abolition du temps et de l’espace » et la traçabilité des soins induitepar les technologies de la santé et de l’autonomie, dont participe la télémédecine, les systèmes d’information pour le parcours et la coordination, etc. ? Tend-t-on ainsi vers une abolition des déserts médicaux et un plus grand pouvoir accordé au patient quant à sa priseen soins (par le suivi de ses constantes, l’accès à des données de santé dématérialisées, etc.)? Ou alors, va-t-on vers plus de contrôle et une accentuation de la dimension biomédicale dela prise en soins ?

* Quelle place attribuer à des approches non conventionnelles, actuellement négligées, voirerejetées, par les conceptions biomédicales dominantes relevant de l’Evidence BasedMedicine, dont l’intérêt affiché consiste à approcher la santé individuelle dans sa complexité éco-bio-psycho-sociale ? A contrario, quelle épistémologie leur appliquer pour s’assurer de leur validité scientifique ?

* Quels sont les liens entre la santé des systèmes économiques et/ou politiques et celui des systèmes de santé ? L’ultra-individualisation de nos sociétés occidentales contemporaines conduit-elle à amoindrir la conception du collectif, lequel constitue une ressource pourchaque individu ? Si tel est le cas, comment penser alors le maintien (ou non) des principes de solidarité intergénérationnelle et interclasses sur lesquels reposent les systèmes deprotection sociale, tels que celui que connaît la France depuis l’après-guerre, en particulier l’assurance maladie et plus récemment la cinquième branche de la Sécurité sociale dédiée à l’autonomie ?

Modalités de contribution

Les propositions d’articles sont à envoyer à Christophe Humbert (ch@groupepsi.com), avec un résumé et des mots-clés en français et en anglais,

avant le 30 juin 2024.

Parution prévue à l’automne 2024.

Comités

​Directeur de la publication : Patrick SCHMOLL Directeur scientifique PSInstitut

Rédacteur en chef : Christophe HUMBERT – Chargé de recherche en sociologie PSInstitut / chercheur associé LinCS Université de Strasbourg

Comité de rédaction :

  • Mylène BAPST – Chargée de recherche en psychologie clinique – PSInstitut / chercheuse associée au laboratoire SuLiSoM Université de Strasbourg
  • Vivien BRACCINI – Chargé de recherche en Sciences de l’éducation et de la formation – PSInstitut / chercheur associé au LISEC Université de Strasbourg
  • Daria A. DRUZHINENKO-SILHAN – Chargée de recherche en psychologie clinique – PSInstitut / chercheuse associée au laboratoire SuLiSoM Université de Strasbourg
  • Serge FINCK – Chercheur invité PSInstitut
  • Christophe HUMBERT – Chargé de recherche en sociologie PSInstitut / chercheur associé LinCS Université de Strasbourg
  • Hugues PETITJEAN – Directeur scientifique Benephyt
  • Patrick SCHMOLL – Directeur scientifique PSinstitut

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