[AAC] Le Storytelling, le récit entre construction et atomisation de l’image et du discours
Appel à contributions n° 3/2020 Revue Communication & Management
Co-dirigé par :
Valérie Bonnet, Maîtresse de conférences (HDR) en Sciences de l’Information et de la Communication, Lerass, Université Paul Sabatier (Toulouse 3)
Pierre Camille-Delahaye, Docteur en Sciences de l’Information et de la Communication, Lerass-Ceric, Université Paul Valéry (Montpellier 3)
Brigitte Sebbah, Maîtresse de conférences en Sciences de l’Information et de la Communication, Lerass, Université Paul Sabatier (Toulouse 3)
Entendu communément comme l’art de raconter des histoires, comme type spécifique de récit évocateur ou de mise en scène d’un message, ou technique narrative, le storytelling se caractérise également par un flou, signe d’une instabilité tant dans sa forme que dans les contenus qu’il véhicule. Christian Salmon, qui a introduit la notion dans le grand public prédisait dans son dernier ouvrage, L’Ère du clash (2019), la fin du storytelling. Et pourtant, les analyses des campagnes de diverses institutions ou des discours politiques font montre d’une large utilisation de cette communication narrative. Cette mise en avant du récit dans ses usages managériaux, et communicationnels, ne doit néanmoins pas cacher une réflexion davantage ancienne et fondamentale sur la notion, ainsi que le souligne Marc Lits (2012) lors d’un bilan des travaux de l’ORM de Louvain. Citant les travaux de Michel de Certeau (1980),
de Gianni Vattimo (1990), les analyses de Louis Quéré (1982) sur l’information postmoderne, les observations du publicitaire Jacques Pilhan (1995) à propos des hommes politiques, les analyses de Jean-François Lyotard (1989) sur l’instrumentalisation de la fonction narrative ou encore les réflexions de Yves Citton (2010), l’auteur montre en quoi le récit touche aux multiples dimensions traversant l’espace public et le vivre ensemble.
Glissant vers l’épidictique, le storytelling est également un outil de gestion et de construction identitaire ainsi qu’analysé dans des travaux prolongeant les réflexions de Paul Ricoeur (1983), mais aussi par le truchement de figures exemplaires (exempla en latin) qui rejoignent les récits testimoniaux (Rialland, 2009). Les histoires issues de cette « technique » ne rempliraient-elles pas, aussi, une fonction bien définie en amont : celle de faire consensus, de créer ou lever une communauté autour d’une marque par exemple, sans pour autant que les récepteurs ne les reçoivent pour « vraies » mais les tiennent uniquement pour « récits ». Nous pouvons ici faire un parallèle avec la fonction des mythes civiques chez les grecs, comme l’a montré Paul Veyne (1983). Multiples sont donc les fonctions de ces récits qui peuvent servir à « légitimer des messages ou des actions, […] réaliser des intérêts personnels déterminés, […] fédérer des clients, des téléspectateurs ou des électeurs » (Belletante, 2010). A l’heure des fausses nouvelles, des récits plateformisés (stories, lives, posts) et de leur circulation sur les réseaux socio-numériques, la spécificité des histoires véhiculées par des stratégies de communication ou par les acteurs de la société civile recourant au storytelling pose la question de la porosité de sa frontière et de sa pérennité.
Cette forte permanence dans le temps, et l’espace, est certainement à attribuer à son efficacité en termes de fonctions thymiques (Baroni, 2007; Wong, 1995) et d’imaginaires anthropologiques ; conception sur laquelle est fondé le monomythe de J. Campbell (1949), dont Hollywood fait grand usage. En ce sens, est-il possible d’identifier des « marqueurs » dans le discours, le format ou le genre qui institueraient le storytelling et permettraient de l’identifier tant dans son périmètre narratif que dans ses contours épistémologiques ?
Ce numéro de revue s’inscrit dans la volonté de prendre en considération, au-delà de l’analyse des contenus et des dispositifs techniques, les discours qui les accompagnent, les pratiques qui les sous-tendent, mais également la relation qu’ils créent avec le public par le biais d’un contrat de communication (Charaudeau) ou d’un contrat de lecture (Verón). Divers terrains et champs en ligne, et hors ligne, sont attendus dans ce numéro thématique : la communication des organisations, la communication politique et publique, les narrations médiatiques…
Axe 1. Le storytelling comme paradigme ou genre communicationnel ?
Présent à la fois dans le champ médiatique et journalistique (narrative journalism), mais aussi dans les start-up, le storytelling a pour particularité d’emprunter à des secteurs et des industries périphériques au journalisme, aux industries culturelles et aux médias sociaux. Par ces emprunts, il déforme toute tentative de stabilisation d’un genre ou d’une technique. En outre, il met en tension les clivages entre diverses normes et registres d’activité qui, dans l’imaginaire collectif, sont connotés plus ou moins positivement : objectivité vs. subjectivité ; neutralité vs. engagement; cadrage épisodique vs. cadrage thématique; information vs. opinion vs. conversation; information vs. fiction. Plus largement, l’opposition entre professionnel et amateur (e.g. youtubeur), entre production et réception, ou encore entre gatekeeper et audience, nous conduit à des phénomènes de porosité, d’hybridation voire même de dispersion que l’on peut observer à la fois dans les pratiques, les contenus et les modalités énonciatives. Est-il possible, à la lumière de ces diverses formes et des secteurs variés qui y ont recours (communication publique, politique et d’entreprise), de repérer des points communs qui permettraient de qualifier un « genre du storytelling » mais également de qualifier le rapport au public ou à l’audience ainsi institués, ou assiste-t-on plutôt à des oppositions qui structurent ces pratiques ?
Axe 2. Le storytelling à l’heure de la plateformisation de la communication.
Les multiples manifestations du storytelling dans les messages et les stratégies de communication conduisent-elles à l’émergence de spécialisations, dans une logique de différenciation ou de mimétisme, au sein de secteurs professionnels divers et variés ou bien dans l’écosystème numérique des médias de manière générale ? L’essaimage, la polyphonie quasi constitutive, la viralité, l’atomisation des contenus et des récits en ligne laissent voir depuis les années 2000, et l’émergence subséquente des réseaux socio-numériques, des transformations dans la circulation, la réception et la conception – parfois contrainte par les algorithmes – du récit. Par conséquent, peuvent être également appréhendées ici les multiples réappropriations narratives effectuées par les citoyens, les lecteurs ou les amateurs. Le concept même de plateformisation de la communication (Beuscart, 2018 ; Gillepsie, 2012) laisse deviner un basculement important de la notion de storytelling tant dans les formats natifs (lives, stories, instant articles) et les contenus sponsorisables (publicité politique et commerciale sur les RSN), que dans la temporalité du récit (promesse de l’immédiateté et de l’ubiquité du message), que dans le contenu du récit (nouvelles écritures), et enfin dans la réception (métriques, ciblage, représentations des usagers). Cet axe s’intéressera donc aux
linéaments identifiables du storytelling à l’heure de la plateformisation de la communication – et donc dans le contexte des réseaux socio-numériques principalement – en privilégiant l’articulation d’un questionnement sur les évolutions ou les réplications possibles du hors ligne, du storytelling en ligne, à partir de terrains issus des réseaux sociaux ou d’entretiens avec des acteurs professionnels (communication politique et publique, médias, communication des organisations) en charge de ces réseaux.
Axe 3. Matérialités langagières du storytelling
Le storytelling est avant tout constitué par des matérialités langagières, verbales ou iconiques (Barthes, 1961 ; Verón, 1994). Tout comme le transmedia storytelling (Jenkins, 2003) a sensiblement modifié les logiques de narrativité, on peut questionner les modalités de construction des histoires au regard des supports médiatiques et des réseaux socio-numériques tels que Twitter, mais aussi des modalités scripturaires proposées par ceux-ci. Le format proposé/imposé par ceux-ci, les modalités d’agencements langagiers – notamment iconotextuels – mis en œuvre, modifient-ils les logiques décrites par la narratologie classique ? Par-delà la question de la textualité, ici interrogée, il serait intéressant d’examiner la notion centrale de mise en intrigue dans la construction de récits qui sont par définition non fictionnels (Baroni, 2007) ou qui requièrent, a minima, une certaine suspension de la crédulité (Coleridge). Cet axe s’intéressera donc aux observables langagiers comme aux composantes thématique, dialectique, dialogique et tactique (Rastier, 2001) du storytelling, que l’ensemble de ces composantes soit abordé ou seulement une partie de celles-ci.
Bibliographie
BARONI R. (2007), La tension narrative. Suspense, curiosité, surprise, Seuil, Paris. BARTHES R. (1961), « Le message photographique », Communications, Vol. 1, N° 1, pp. 127 à 138.
BELLETANTE J. (2010), « Récit et légitimation : les États-Unis en guerre contre le terrorisme (2001-2004) », Études de communication – langages, information, médiations, N° 34, pp. 177 à 192.
BEUSCART J.-S., FLICHY P. (2018), « Plateformes numériques », Réseaux, Vol. 212, N° 6, pp. 9 à 22.
CAMPBELL J. (1949), The hero with a thousand faces, N. J. : Princeton University Press [1968. 2nd edition], Princeton.
CITTON Y. (2010), Mythocratie. Storytelling et imaginaire de gauche, Éd. Amsterdam, Paris. CHARAUDEAU P. (1997), Le Discours d’information médiatique : la construction du miroir social, Nathan, Paris.
DE CERTEAU M. (1990), L’Invention du quotidien. T.I : Arts de faire, Gallimard, Paris. GILLEPSIE T. (2010), « The politic of Platforms », New Media & Society, Vol. 12, N° 3, pp. 347 à 364.
JENKINS H. (2003), « Transmedia Storytelling. Moving characters from books to films to video games can make them stronger and more compelling », Technological Review. Source :www.technologyreview.com/news/401760/transmedia-storytelling/ [consulté le 18 août 2012].
LITS M. (2012), « Quel futur pour le récit médiatique », Questions de communication, Vol. 1, N° 21, pp. 37 à 48.
LYOTARD J.-F. (1989), La Condition postmoderne, Éd. de Minuit, Paris.
PILHAN J. (1995), « L’écriture médiatique », Le Débat, N° 87, pp. 3 à 24.
QUERE L. (1982), Des miroirs équivoques. Aux origines de la communication moderne, Aubier Montaigne, Paris.
RASTIER F. (2001), Arts et sciences du texte, Presses Universitaires de France, Paris. RIALLAND I. (2009), « Approche rhétorique du storytelling : la preuve par l’exemple », Fabula. Source : www.fabula.org/atelier.php?La_preuve_par_l%27exemple.
RICOEUR P. (1983), Temps et récit I, Seuil, Paris.
SALMON C. (2019), L’Ère du clash, Fayard, Paris.
VATTIMO G. (1990), La Société transparente, Desclée de Brouwer, Paris.
VERÓN E. (1994), « De l’image sémiologique aux discursivités », Hermès, Vol. 1, N° 13-14, pp. 45 à 64.
VERÓN E. (1985), « L’analyse du ‘‘contrat de lecture’’ : une nouvelle méthode pour les études de positionnement des supports presse », in Les médias, expériences, recherches actuelles, applications, IREP, Paris.
VEYNE P. (1983), Les Grecs ont-ils cru à leurs mythes? Essai sur l’imagination constituante, Seuil, Paris.
WONG M. CH. P. (1995), The effects of story schemata on narrative recall, Lang Book Chapters, Hong-Kong.
Calendrier prévisionnel
Décembre 2019 : publication de l’appel à contributions
3 février 2020 : limite de réception des propositions
6 avril 2020 : retour aux auteurs des avis du comité de sélection 22 juin 2020 : limite de remise des premières versions des articles 24 août 2020 : recommandations aux auteurs
28 septembre 2020 : limite de remise des articles définitifs
19 octobre 2020 : décision définitive de publication
Décembre 2020 : sortie du numéro
Recommandations aux auteur.e.s
Les auteurs désireux de contribuer à ce numéro thématique devront envoyer pour le 3 février 2020, au plus tard, une proposition d’article explicitant le projet d’étude envisagé (3 000 signes maximum, espaces compris) à l’adresse suivante : pierre.camilledelahaye@gmail.com.
La proposition devra être transmise via un fichier attaché (.doc) comprenant l’avant-projet de l’article (titre, résumé, mots-clefs, courte bibliographie de 6-10 références…) accompagné, sur un document à part, d’une brève biographie du ou des auteurs (nom, prénom, statut, institution, adresse postale/électronique…).
Les propositions retenues feront par la suite l’objet d’une évaluation en double aveugle, effectuée par le comité scientifique interne à la revue, sur la base des articles définitifs (entre 35 000 et 50 000 signes, espaces compris). Pour plus d’informations sur les normes de sélection et de rédaction en vigueur, nous vous saurons gré de vous référer au site officiel de la revue : http://revue-communication-management-eska.com.
*La revue Communication & Management fait partie de la liste des revues qualifiantes du domaine Sciences de l’Information et de la Communication (SIC), 71ème section du CNU.