[AAC] Où va le travail social ? Contrôle, activation et émancipation
Colloque organisé par le Pôle ressource intervention sociale d’Occitanie (PRISOC) et le CORHIS-UPVD en partenariat avec l’Institut Régional du Travail Social (Montpellier, Perpignan – Faire-ESS), l’IRTS Marseille Paca et Corse, Erasme Toulouse, l’IRTS-IDS Normandie, l’Université de Toulouse 2 Jean-Jaurès, l’Université Paul Valéry Montpellier, le Réseau Thématique 3 « Normes, déviances et réactions sociales » de l’Association française de sociologie (AFS), l’Association des Chercheurs des Organismes de la Formation et de l’Intervention Sociales (ACOFIS), le Comité de recherche 01 « Identité, espace et politique » de l’Association internationale des sociologues de langue française (AISLF)
Contexte
L’utilité du travail social pour la cohésion sociale est aujourd’hui établie. Dans la lutte contre les inégalités, le travail social joue un rôle clé reconnu par les instances gouvernementales nationales et internationales. Ainsi, à la suite des États Généraux du Travail Social (EGTS), dans le cadre du Plan d’action en faveur du travail social et du développement social, s’inspirant de la définition internationale du travail social[1] et des travaux du Haut Conseil du Travail Social[2] (HCTS), une définition du travail social est intégrée dans le Code de l’Action Sociale et des Familles (art. D. 142-1-1) : « Le travail social vise à permettre l’accès des personnes à l’ensemble des droits fondamentaux, à faciliter leur inclusion sociale et à exercer une pleine citoyenneté. Dans un but d’émancipation, d’accès à l’autonomie, de protection et de participation des personnes, le travail social contribue à promouvoir, par des approches individuelles et collectives, le changement social, le développement social et la cohésion de la société. Il participe au développement des capacités des personnes à agir pour elles-mêmes et dans leur environnement. « A cette fin, le travail social regroupe un ensemble de pratiques professionnelles qui s’inscrit dans un champ pluridisciplinaire et interdisciplinaire. Il s’appuie sur des principes éthiques et déontologiques, sur des savoirs universitaires en sciences sociales et humaines, sur les savoirs pratiques et théoriques des professionnels du travail social et les savoirs issus de l’expérience des personnes bénéficiant d’un accompagnement social, celles-ci étant associées à la construction des réponses à leurs besoins. Il se fonde sur la relation entre le professionnel du travail social et la personne accompagnée, dans le respect de la dignité de cette dernière. « Le travail social s’exerce dans le cadre des principes de solidarité, de justice sociale et prend en considération la diversité des personnes bénéficiant d’un accompagnement social. » (Décret n° 2017-877 du 6 mai 2017 relatif à la définition du travail social). Le « travail social professionnel » est donc d’abord le fruit d’une volonté politique qui prend la forme d’un ensemble d’activités sociales conduites par des professionnels qualifiés (assistants sociaux, éducateurs spécialisés, éducateurs techniques, conseillers en économie sociale et familiale…) combinant des compétences techniques complexes (connaissances, rigueur, efficacité, responsabilité, créativité..) avec des valeurs humaines (respect de l’individu considéré comme un acteur capable de transformation) et démocratiques (engagement dans des actions de solidarité et de justice sociale facteurs de changement social). Les travailleurs sociaux agissent dans le cadre d’une mission autorisée et/ou prévue par la loi, au sein de structures publiques ou associatives, en faveur de personnes ou de groupes en difficulté, afin de contribuer avec eux à la résolution de leurs problèmes.
Néanmoins, même si le travail social professionnel est aujourd’hui reconnu, il est passé par plusieurs étapes douloureuses et vit toujours de grands bouleversements qui fragilisent l’identité professionnelle des travailleurs sociaux. Depuis « l’âge d’or » de sa professionnalisation située entre les années 1970 et 1980, ce champ s’est largement complexifié et s’inscrit désormais dans un espace plus large et plus flou associé à celui de l’« intervention sociale ». En effet, le champ social est constitué de secteurs historiques (aide sociale, handicap, protection de l’enfance, traitement de la délinquance…) du travail social et de secteurs « émergents » (aide à domicile, médiation urbaine, insertion, développement social local, accompagnement des immigrés, personnes âgées, démocratie alimentaire, environnement sain et sécure etc.) de l’intervention sociale. Les professions sociales se présentent donc aujourd’hui comme un véritable archipel lié à la « logique de compétences » alors que le noyau historique s’est construit grâce à une « logique de qualification ». L’univers des intervenants sociaux est désormais atomisé entre plusieurs professions et métiers. Ils évoluent dans un monde « polycentré » entre une multiplicité d’employeurs intervenant sur de multiples problèmes et publics ciblés.
Dans ce contexte d’éclatement du champ social, les travailleurs sociaux contemporains ont alors des difficultés à visibiliser leur capacité d’action et doutent de leur légitimité en tant que « régulateurs d’inégalités ». De plus, ils sont maintenant concernés par les contraintes du « management » et des « impératifs gestionnaires » mais sont aussi impactés par le processus d’« activation ». En effet, selon Robert Castel, nous assistons à la production d’un « paradigme d’activation des politiques sociales » : « On peut appeler paradigme de l’activation ce nouveau modèle qui reconfigure le champ de la protection sociale. C’est en fait à une constellation de termes que l’on renvoie ainsi car on peut aussi parler d’une exigence de responsabilisation, de mobilisation, d’investissement personnel, d’individualisation, de subjectivation, de contractualisation, de logique de projet, de contrepartie, etc. Mais il s’agit chaque fois d’impliquer l’individu et faire qu’il s’implique lui-même afin de collaborer à ce qu’on fait pour lui, de telle sorte que sa propre responsabilité soit toujours engagée, y compris dans ses échecs. Il n’y a plus un devoir général assumé par la puissance publique d’assurer la protection, mais plutôt une interpellation adressée à tous ceux qui sont susceptibles de se trouver en rupture ou en déficit de solidarité : d’abord, qu’ils se mobilisent. Les politiques sociales deviennent ainsi des politiques de l’individu en un double sens : c’est sur les individus que sont ciblées les interventions publiques, et ce sont les individus qui doivent s’activer pour s’en sortir[3]. »
Problématique
Etant au front des inégalités sociales, beaucoup de travailleurs sociaux et intervenants sociaux ont le sentiment désagréable d’être instrumentalisés et de devoir répondre à l’urgence sociale sans possibilité réelle de construire un véritable projet d’inclusion/intégration/émancipation avec les personnes qu’ils accompagnent. Or cette situation les ramène finalement à leur ancienne fonction de « pacificateur social » que pourtant la plupart des travailleurs sociaux réprouvent. En effet, alors qu’une partie d’entre eux sont confrontés à la gestion massive de « nouvelles » populations pauvres (mineurs étrangers isolés, demandeurs d’asile, travailleurs pauvres, jeunes des quartiers populaires déscolarisés…), le vieux débat sur le rôle de « pacification des esprits » du travail social ressurgit et interroge la réalité actuelle et le sens du travail social.
Dans la pratique, dans un contexte de mutation du champ social caractérisé, notamment, par le développement d’une dynamique gestionnaire, techniciste et bureaucratique, d’un côté, certains travailleurs et intervenants sociaux mettent en œuvre des logiques managériales, sécuritaires et de responsabilisation/moralisation auprès des « populations cibles » en difficulté soulignant ainsi que ces logiques sont devenues centrales au sein du champ social et qu’elles font désormais partie intégrante des missions dévolues aux intervenants sociaux assimilés, à certains égards, à des « pacificateurs de désordres ». D’un autre côté, des professionnels sociaux considérant que ces mutations remettent en question les valeurs d’égalité et de solidarité mais aussi le projet politique d’émancipation qui a longtemps constitué le fil rouge de nombreux acteurs et structures s’inscrivant dans l’espace du travail social mettent en œuvre des projets d’intervention propices à la transformation sociale et à l’émancipation des « populations en difficulté », quitte à entrer en confrontation avec les institutions politiques et sociales s’inscrivant dans l’idéologie du « New Public Management » et promouvant la rationalisation du champ social. Mais au-delà de cette opposition, entre le pôle de la « pacification sociale » des désordres et celui de « l’émancipation », tant du côté des intervenants sociaux que des organisations sociales, les mutations de l’intervention sociale se traduisent aussi par la combinaison de logiques managériales, sécuritaires, de responsabilisation, de moralisation et d’émancipation reflétant ainsi l’ambivalence de l’intervention sociale contemporaine qui, aujourd’hui comme hier, est toujours en tension entre deux « pôles » : celui de la gestion des « désordres de l’inégalité » et celui de la « promotion de l’égalité ».
Ces dernières années, le travail social subit des mutations permanentes, trop souvent portées par des injonctions politiques. Comment les travailleurs sociaux se saisissent-ils, ou pas, des recompositions imposées pour faire évoluer leur métier ? Quelle prise en compte dans la formation ? Comment la recherche s’empare-t-elle de ces questions ? Quelles sont finalement les conséquences de changements imposés par l’État, pour le développement du travail social et plus largement la prise en charge de la question sociale dans notre société ?
Objectifs
Pour répondre à cette question qui est au cœur de l’ambivalence du travail social, il s’agit de comprendre les enjeux politiques, économiques, déontologiques et éthiques du travail social et plus largement de l’intervention sociale. À partir de l’analyse des épreuves et des réactions des acteurs du champ social (travailleurs et intervenants sociaux, populations-cibles, formateurs et chercheurs), alors que nous vivons le passage de l’« État social » à l’ « État social actif » à l’échelle nationale et internationale, ce colloque a pour objectif d’améliorer la compréhension de la transformation du champ social et de ses conséquences sur la logique émancipatrice qui devrait pouvoir être fondatrice du travail social.
En définitive, alors que nous assistons à la complexification du champ social dans les pratiques d’intervention sociale (logiques hyper-gestionnaires qui impactent les modes d’intervention orientés vers l’activation des personnes accompagnées), de la formation (développement de la concurrence entre les écoles du travail social sur fond de réingénierie et d’universitarisation des diplômes) et de la recherche (débats épistémologiques et politiques sur l’opportunité de promouvoir une recherche spécifique au travail social), ce colloque se demande à quelles conditions les acteurs de l’intervention sociale, de la formation et de la recherche peuvent-ils participer au développement d’ un travail social émancipateur ?
[1] « Le Travail social est une pratique professionnelle et une discipline. Il promeut le changement et le développement social, la cohésion sociale, le pouvoir d’agir et la libération des personnes. Les principes de justice sociale, de droit de la personne, de responsabilité sociale collective et de respect des diversités, sont au cœur du travail social. Etayé par les théories du travail social, des sciences sociales, des sciences humaines et des connaissances autochtones, le travail social encourage les personnes et les structures à relever les défis de la vie et agit pour améliorer le bien-être de tous. » (Définition internationale du travail social approuvée par l’assemblée générale de IASSW (Association internationale des écoles du travail social), le 17 avril 2017 – voir https://www.eassw.org/global/definition-internationale-du-travail-social/)
[2] Voir Rapport du HCTS adopté, le 23 février 2017, par la commission permanente du HCTS (https://solidarites-sante.gouv.fr/ministere/acteurs/instances-rattachees/haut-conseil-du-travail-social-hcts/rapports-et-publications-du-hcts/rapports/article/definition-du-travail-social)
[3] Robert Castel in Castel R. et Duvoux N., 2013, L’avenir de la solidarité, Paris, éd. La vie des idées/PUF, p. 8.
Conditions de soumission
Cet appel à communication s’adresse aux chercheurs et enseignants-chercheurs professionnels et aux doctorants, aux formateurs, aux personnes accompagnées, praticiens et étudiants en sciences sociales et travail social qui souhaitent valoriser les résultats de travaux de recherche, d’études, d’innovations professionnelles et pédagogiques auxquels ils auraient participé.
Un court texte présentant le projet de contribution devra être envoyé au comité de sélection. Les propositions devront indiquer :
- Nature de la communication (présentation d’une recherche (préciser la discipline), d’une étude, d’un diagnostic ; projet associatif ou de service innovant ; expérimentation professionnelle ou pédagogique ; documentaire ; exposition photo etc.) ;
- Nom, prénom, adresse électronique et institution d’attache du ou des auteur(s) ;
- Fonction du communicant (chercheur, enseignant-chercheur, doctorant, formateur, personne accompagnée, praticien dans le travail social/intervention sociale, étudiant en sciences sociales, étudiant en travail social.
Ils n’excèderont pas 1500 signes, devront être rédigés en français ou en anglais et devront parvenir, sous format Word, à corhis@univ-perp.fr
au plus tard le 15 mai 2020
Les avis du comité de sélection seront transmis aux auteurs le 29 juin 2020.
Comité d’organisation
- Manuel Boucher (CORHIS-UPVD-ACOFIS)
- Robert Bergougnan (Directeur général – Faire-ESS)
- Brigitte Baldelli (CORHIS – UPVD – IRTS Perpignan)
- Véroniques Bordes (EFTS – Université Toulouse 2 Jean Jaurès)
- Olivier Noël (CORHIS-UPVM)
- Benoit Prévost (Art-Dev – UPVM)
- Audrey Rivaud (Art-Dev – UPVM)
- François Sentis (Directeur général IRTS PACA et Corse)
Comité scientifique
- Evelyne Baillergeau (Université d’Amsterdam, Pays-Bas)
- Claudio Bolzman (Haute Ecole de Travail Social de Suisse Occidentale, Suisse)
- Véronique Bordes (Université de Toulouse 2 Jean Jaurès)
- Anna Maria Campanini (Association internationale des écoles du travail social – Université Bicocca, Milan, Italie)
- Michel Chauvière (CNRS)
- Lena Dominelli (Université de Stirling, Ecosse)
- Anna Elia (Université de Calabre, Italie)
- Nicolas Duvoux (Université Paris 8)
- Marcel Jaeger (professeur émérite du CNAM)
- Hervé Marchal (Université de Dijon)
- Eric Marlière (Université de Lille III)
- Slimane Touhami (Erasme Toulouse)
- Alain Vulbeau (Université Paris X – Nanterre)
- Michel Wieviorka (EHESS – FNSH)
- Gérard Mauger (CNRS)
- Emmanuel Jovelin (2L2S – Université de Metz – Lorraine)
- Jean-Yves Dartiguenave (Université Rennes 2)
- Manuel Boucher (CORHIS – UPVD)
- Dominique Sistach (CORHIS-UPVD)
- Olivier Noël (CORHIS- UPVM)
- Brigitte Baldelli (CORHIS – UPVD)
- Audrey Rivaud (Art-Dev – UPVM)
- Benoit Prévost (ART-Dev – UPVM)
- Mathilde Pette (UPVD-CRESEM-IC Migrations)
- Yves Gilbert (CORHIS – UPVD)
- Jean-Michel Plane (CORHIS – UPVM)
- Mohamed Belqasmi (IRTS-IDS Normandie/URMIS-Université Nice)
- Agathe Petit (IRTS Paca & Corse – Université Aix-Marseille)
- Walter Greco (DISPES-Université Calabre)
- Anne-Françoise Dequiré (PROFEOR/CIREL – Université de Lille/Université catholique de Lille-ISL)
- Thibaut Besozzi (2L2S, Université de Reims Champagne-Ardenne, CEREP)
- Lucile Franz (Université de Lausanne, Institut des Sciences Sociale)
- Isabelle Raffestin (Université de Montréal)
- Laura Delcourt (Université de Lille, CeRIES)
- Konstantinos Delimitsos (CRESPPA-GTM/IRTS Île-de-France Montrouge / Neuilly-sur-Marne)
- Sylvain Beck (IRTS-IDS Normandie – GEMASS-CNRS / Paris-Sorbonne)
- Régis Pierret (ITSRA)
- Giorgia Macilotti (Université de Toulouse 1 Capitole)
Partenaires institutionnels et scientifiques
- Faire-ESS (IRTS Montpellier – Perpignan)
- IRTS Marseille Paca et Corse
- IRTS-IDS Normandie
- Erasme Toulouse
- Université Perpignan
- Université Montpellier Paul Valéry
- Université Toulouse 2 Jean Jaurès
- ACOFIS
- AFS – RT 3
- AISLF – CR 1