[JE] Institutions sous pression
Dans le prolongement du colloque de 2023 « Soigner le commun », l’association Prisme et le Master Soin Éthique et Santé de l’Université Bordeaux-Montaigne proposent, en 2024, d’examiner la notion d’institution (voire de s’y confronter), dans un contexte qualifié de poly-crises qui donne à voir des systèmes de soin exsangues.
Si l’institution se rapporte à ce qui est institué et peut apparaître uniquement comme une armature figée, elle renvoie également au processus même de l’institutionnalisation. L’institution dans le sens le plus large du terme est censée tenir ensemble deux tendances de prime abord contradictoires : la stabilité et le mouvement. Dans cette tension entre l’individu et le collectif, l’institution aurait la lourde tâche de faire converger les individus vers « une idée d’œuvre ou d’entreprise qui dure juridiquement dans un milieu social » et les faire parvenir à des « manifestations de communions » appuyées par des normes, des organes de pouvoir et des procédures auxquels ils adhèrent. (M. Hauriou).
Dès lors, les institutions de soin sont-elles nécessairement hiérarchiques et oppressives ? A-t-on besoin d’institutions pour promouvoir le soin comme finalité commune dans nos sociétés développées et hautement individualisées ou bien devrait-on s’en passer ? Les institutions publiques peuvent-elles être remplacées par des institutions privées ? Lesquelles : associations, sociétés privées à but lucratif ?
L’institution permet-elle d’encadrer profitablement les pratiques de soin ou les enferme-t-elle dans des carcans préjudiciables ? Comment soigner l’institution et lui redonner de son assise et de sa plasticité ?
Questionner l’institution et la santé comme institution permet d’appréhender les difficultés, et pour certains la détresse que rencontrent actuellement dans le champ de la santé les soignants, les éducateurs, les cadres, tous les acteurs de soin dans leur activité clinique perçue de toutes parts comme dégradée. Les institutions apparaissent aujourd’hui enlisées et écrasantes. Les professionnels disent leur désarroi, bon nombre d’entre eux renoncent à leur vocation et quittent « le navire de l’État Social ». Soignants et patients parlent de « maltraitance institutionnelle », de « crise institutionnelle ».
Le premier point frappant de cette crise est le renversement de la priorité entre les moyens et les fins.
Que reste-t-il des institutions de soin dans une approche comptable du monde où l’essentiel tient à une gouvernance « par les nombres » plutôt qu’à une approche qualitative centrée sur les besoins et vulnérabilités des patients ?
En outre, l’individualisation du soin, censée, précisément, faire droit au patient contre le pouvoir écrasant des grandes institutions de santé, peut avoir pour effet l’affaiblissement des grandes structures hospitalières. Que recouvre alors l’appel à la désinstitutionnalisation et quelles en sont les conséquences sur le terrain ? Qu’est ce qui se joue avec les virages ambulatoire, inclusif, numérique et le déploiement des plateformes, présentées comme des symboles de fluidité des parcours de soin et d’horizontalité des rapports sociaux ? Sont-elles un nouveau mirage dont le risque serait d’aboutir à une forme de soins impersonnels, à une évaporation de la clinique et une atomisation du social ?
Selon Hermann Simon, médecin psychiatre, pour soigner les malades il faut soigner l’institution.
C’est cet adage qui a fondé pendant la seconde guerre mondiale le mouvement de psychothérapie institutionnelle et sa « révolution asilaire », repensant les rapports de pouvoir au sein de l’hôpital.
L’histoire de la psychiatrie, tout aussi sombre qu’inventive, donne des clés pour comprendre ce qui agite l’institution. Les questions rencontrées par d’autres approches apparaissent également comme des leviers féconds pour soutenir voire reconstruire un étayage institutionnel dans le champ de la santé : l’institution entendue comme « laboratoire » démocratique ; la réflexion autour du langage et son dévoiement par la novlangue managériale ; la possible mobilisation de l’imaginaire instituant par des pratiques artistiques ; l’intégration d’une vision écologique appelant à des « institutions post naturalistes ».
Ce colloque cherchera à revisiter l’institution, les concepts et enjeux qu’elle mobilise, ainsi que ses possibles ressorts pour ré-instituer le soin entre clinique et politique.
Programme
Mercredi 27 Mars
8H30-9H : Accueil, Université Bordeaux-Montaigne, Amphi ACH005
MODÉRATION : Pierre Crétois, Maître de Conférences en philosophie – Université Bordeaux-Montaigne / Judith Fischer, infirmière formatrice, association PRISME
- 9H-9H40 : Marie Hervé, doctorante en philosophie, La référence kantienne dans l’éthique médicale : une institution ?
- 9h40- 10h10 : Soline Goubaud, psychologue clinicienne, Christelle Jault, infirmière, étudiantes du master SES, Hétérotopies et réanimation
- 10H10-10H50 : Aude Rouyère, professeure de droit public, Université de Bordeaux, L’institution et « son » droit
PAUSE : 10H50-11H10
MODÉRATION : Elise Sevenet, Directrice en Établissements médico-sociaux, étudiante Master SES / Jean-Arthur Micoulaud-Franchi, psychiatre, professeur en neurophysiologie – CHU Bordeaux
- 11H10-11H50 : Michel Keisler, directeur général de l’APAJH, La démarche inclusive au sein d’une association médico-sociale
- 11H50-12H30 : Gaëlle Baudin, Association Prisme, Formatrice, Conseillère psychopédagogique de la SOFOR, Bordeaux, La société dividuelle. Les deux visages de la désinstitutionnalisation
PAUSE REPAS (12H30-14H15)
- 14H15-14H45 : Aude Le Bihan, Artiste – Boom’structur, pôle chorégraphique Clermont-Ferrand I.M.C. – Institution, Malaise, Corps
14H15-15H : PAUSE
MODÉRATION : Gaëlle Baudin, Association Prisme, Formatrice, Conseillère psychopédagogique de la SOFOR, Bordeaux
- 15H-15H30 : Corentin Lebigre, Jordan Limousin, psychologues cliniciens – Service de Soins Psychiatriques Ambulatoires aux Détenus, Luynes, Psychothérapie institutionnelle et milieu carcéral
- 15H30-16H10 : Benjamin Royer, psychologue clinicien, Le concept d’institution dans la psychothérapie institutionnelle : une erreur de casting bien pratique
- 16H10-16H50 : Pierangelo Di Vittorio, Philosophe, Sud Ouest Formations Recherche – Bordeaux, Réinventer le social, la psychothérapie institutionnelle française et le mouvement anti-institutionnel italien au-delà du miroir.
Soirée à l’Athénée Municipal, Amphithéâtre « Joseph Wresinski »
18H-18H30 : Accueil
MODÉRATION : Florian Poullenot, doctorant en philosophie – praticien hospitalier en gastroentérologie, CHU Bordeaux
18H30-20H : Table Ronde
- Barbara Stiegler, Professeure de philosophie – Université Bordeaux-Montaigne
- André Grimaldi, Professeur émérite en diabétologue – La Pitié Salpétrière, Paris
- Pierre Crétois, Maître de Conférences en philosophie – Université Bordeaux-Montaigne
Jeudi 28 mars
8H30-9H : Accueil, Université Bordeaux-Montaigne, Salle ACH005
MODÉRATION : Association Prisme
- 9H-9H30 : Sybille Quentin-Georget et Nathalie Bailly, médecins urgentistes, étudiantes Master SES, La maltraitance institutionnelle
- 9H30-10H : Mathieu Vanbergue, psychologue social, Quand les soignants quittent l’institution, quand l’institution quitte les soignants
- 10H-10H40 : Marie-Claude Bernard, doctorante en philosophie, responsable formation et professionnalisation des métiers de la santé – CHU de Bordeaux, Le travail médusé
10H40 – 11H : PAUSE
MODÉRATION : Jean-Arthur Micoulaud-Franchi, psychiatre, professeur en neurophysiologie – CHU Bordeaux / Gaëlle Baudin, Association Prisme, Sud Ouest Formation Recherche – Bordeaux
- 11H-11H40 : Raphael Yven, Secrétaire général du CHU de Bordeaux, directeur de la transformation écologique, Transformation écologique et institution
- 11H40-12H20 : Ferhat Taylan, Maître de Conférences en philosophie – Université Bordeaux-Montaigne, Gouverner par les limites
PAUSE REPAS : 12H20- 13H45
MODÉRATION : Marie-Claude Bernard, doctorante en philosophie, responsable formation et professionnalisation des métiers de la santé – CHU de Bordeaux
- 13H45-14H25 : Estelle Gioan, psychologue clinicienne, Consultation transculturelle – CHU Bordeaux, Ethnotopies, L’’institution de l’inhospitalité ou les enjeux de la sollicitude en périnatalité transculturelle
- 14H25-15H05 : Judith Fischer, infirmière formatrice / Association Prisme, Se parler dans l’institution
- 15H05-15H45 : Tonya Tartour, Maîtresse de conférences en sociologie – Sciences Po Bordeaux, Centre Emile Durkheim, Ce que désinstitutionnalisation veut dire. Réflexions sociologiques sur la polysémie du terme en psychiatrie
15H45-16H : PAUSE
MODÉRATION : Pierre Crétois, Maître de Conférences en philosophie – Université Bordeaux-Montaigne
- 16H-16H40 : Benoit Blanchard, pédopsychiatre en CMPP, Cliniques de la dysinstitutionnalisation
- 16H40-17H20 : Edouard Jourdain, Maître de conférences en sciences politiques – UCO Nantes, Instituer le commun ou comment socialiser l’administration.
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