Org&Co 2019 – Darkside Bordeaux
Org&Co 2019 – Darkside
Le « côté obscur » de la communication des organisations
ACTES DU
Actes colloque Org&Co 2019 – Darkside
Appel à communications
Colloque international Org&Co
28-29 mars 2019 – Bordeaux, France
Avec le MICA (EA 4426), Université Bordeaux Montaigne
Labélisé par la Société Française des Sciences de l’Information et de la Communication (SFSIC)
Le « côté obscur » de la communication des organisations
Depuis une vingtaine d’années, les recherches en sciences humaines et sociales, analysent la complexité des processus et comportements humains au travail, en tentant de s’éloigner d’une vision normative et positive de la vie au sein des organisations. Certains travaux, souvent d’orientation critique, ont notamment entrepris d’analyser des pratiques organisationnelles et managériales peu étudiées parce que problématiques, négatives ou contreproductives du point de vue des dirigeants, ou encore des pratiques négligées ou moralement condamnables. La métaphore du « dark side » ou du « côté obscur » des organisations, se diffuse dans des travaux de chercheurs anglo-saxons (par exemple Linstead et al., 2014 ; Glomb, Liao, 2003 ; Griffin et al., 2004). Ils interrogent le volet éthique des pratiques mais également la capacité des organisations à mener des démarches réflexives pour faire face à certains aspects de la vie au travail : violence, maltraitance, mensonge, mépris, incivilités, discriminations, etc.
Dans ce contexte, les dimensions proprement communicationnelles de ces phénomènes, voire certains processus communicationnels eux-mêmes, participent du développement de ce « côté obscur ». Là encore des approches critiques proposent des analyses, par exemple sur les tensions contemporaines entre assujettissement et reconnaissance dans le monde du travail (Heller, 2009, 2014 ; Heller, Huët et Vidaillet, 2013) ou encore sur les inégalités numériques (Granjon 2009, 2011). Mais les travaux du champ de la communication des organisations / organisationnelle s’avèrent relativement épars et laissent différentes zones d’ombre et angles morts sur ce thème particulier. Le prochain colloque Org&Co, accueilli par le MICA (EA 4426), propose donc d’observer, de décrire et de questionner ce que nous envisageons comme le « côté obscur » des organisations et/ou des communications qui les constituent. Il ouvre également un espace de réflexions pour interroger les épistémologies, approches et méthodes à adopter, les problématiques d’accès au terrain ou encore les enjeux éthiques autour des recherches sur ce thème
Cet appel à communication invite les chercheurs à soumettre une proposition qui s’inscrira dans l’un des quatre axes suivants.
Axe 1 : Violences, blessures, conflits
Les travaux anglo-saxons sur le « côté obscur » des organisations se sont initialement concentrés sur les questions de violence et d’agression au travail (Linstead et al., 2014). Ces recherches sont avant tout centrées sur les individus et leurs comportements violents vis-à-vis des autres (Glomb, Liao, 2003) ou de leurs organisations (Griffin et al., 2004). Elles relèvent le plus souvent de la psychologie et de la sociologie. Dans le champ de la communication de organisations, si l’on retrouve des travaux sur la souffrance au travail (Foli, 2009 ; Ely, Metge, 2016), sur les conflits dans la gestion de projet ou la communication interculturelle (Marciniak, 1998), la violence au travail, comme les conflits, semblent finalement peu traités de façon centrale.
Violences organisationnelles et conflits sont indissociables des problématiques de communication, qu’il s’agisse de communication interpersonnelle, de communication stratégique, de communication managériale… Par exemple, quel sens donner à la violence des discours dans des milieux organisationnels aujourd’hui affectés par la précarité ou, dans une terminologie plus moderniste, la flexibilité ? Les nouvelles logiques d’individualisation au travail, les cultures managériales de l’engagement individuel pour la compétitivité, la rentabilité peuvent contribuer à expliquer la levée des interdits contre la violence dans les relations professionnelles. Par ailleurs, la violence verbale au travail peut être liée à la difficulté, pour la victime, d’en identifier les causes et les processus.
« Etre blessé par un discours, c’est souffrir d’une absence de contexte, c’est ne pas savoir où l’on est », affirme Judith Butler (2004 : 24). D’où, pour l’individu victime, l’impossibilité de débattre, de se justifier, de rechercher des médiations, voire des complicités, d’où la manifestation de questionnements anxiogènes sur le sens à donner à la brutalité verbale, l’insinuation, le sous-entendu, l’allusion, l’ironie…
On pourra ainsi s’intéresser, dans le cadre de cet axe, aux violences verbales au travail, aux actes de langage spécifiques qui les produisent, mais aussi aux conséquences de violences ressenties ou avérées, qui ont pour effet de rendre les individus ou l’organisation vulnérables par exemple en induisant une diminution de la légitimité initiale de l’être violenté.
Axe 2 : Discrimination, assignations catégorielles
Les organisations contemporaines du travail sont des espaces où se manifestent à l’évidence de multiples formes de discrimination et de marginalisation, par exemple les « plafonds de verre » liés aux assignations catégorielles de genre, d’ethnicité ou encore d’origine sociale… En dépit de ce constat empirique, les chercheurs des sciences de l’information et de la communication semblent moins investis que ceux d’autres disciplines comme la sociologie (Dubet et al., 2013 ; Dubet, 2014), ou la psychologie sociale (notamment dès les années 1960 les travaux de Henri Tajfel sur la catégorisation sociale) qui convoquent une littérature académique issue de la cognition sociale des conflits intergroupes conséquente (cf. par exemple la revue de littérature de Kite et Whitley, 2013). Si ces disciplines apportent des explications fécondes, les approches interactionnistes et constructivistes qui y sont développées ne rendent néanmoins pas forcément compte des dynamiques proprement communicationnelles situées au niveau micro ou méso des organisations.
Cet axe invite les chercheurs à mettre en lumière des travaux en communication des organisations / organisationnelle s’intéressant à ces natures de discriminations et d’assignations catégorielles encore peu explorées ou valorisées, qu’ils s’agissent d’études autour de pratiques de communication électroniques ou en présentiel.
Axe 3 : Ambiguïté, incertitude, non dits
La fréquence des changements organisationnels introduit différents non-dits, incertitudes et ambiguïtés qui peuvent engendrer de l’appréhension dans les équipes, mettant à mal les sentiments de confiance et de sécurité. Les travaux d’Eisenberg montrent que l’ambiguïté n’est cependant pas négative en soi. Selon lui, « l’ambiguïté stratégique est essentielle à l’organisation en ce sens qu’elle : (a) favorise la diversité unifiée, (b) facilite le changement organisationnel et (c) amplifie les attributions de sources existantes et préserve les positions privilégiées » (1984 : 239). D’ailleurs pour Weick, « les deux types d’occasion courantes de création de sens pour les organisations sont l’ambiguïté et l’incertitude. Le “choc” dans chaque cas est quelque peu différent. Dans le cas de l’ambiguïté, les gens s’engagent dans la création de sens quand ils sont désorientés par trop d’interprétations, tandis que dans le cas de l’incertitude, c’est parce qu’ils sont ignorants de toutes les interprétations » (1995 : 91).
Si l’idéologie de la transparence informationnelle et communicationnelle a pu dominer les cultures managériales dans la dernière décennie, les questions de l’ambiguïté, du secret, de la dissimulation n’ont jamais quitté la scène du travail et restent au cœur de nombreuses problématiques. Le discours de la transparence est en lien avec ceux de l’opacité, du lissage des avis, voire de la mise en abîme des contestations des équipes. Les travaux attendus dans cet axe pourront développer ces thématiques ainsi que certaines de leurs déclinaisons, à l’instar de l’allusion, de l’implicite, du cynisme.
Axe 4: Corruption, tricherie, mensonge, usage non éthique de l’information
Des pratiques « déviantes » (corruption, tricherie, sabotage, connivence rémunérée, manipulation de l’information, recueil non éthique de l’information ou des données) existent dans les organisations et l’environnement professionnel. Elles peuvent être parfois associées à des dérives criminelles tel le « hachkage » (Ifrah, 2010). Des stratégies, comme l’intelligence économique, abritent, ou sont associées, à des pratiques de désinformation, de manipulation (Marcon, 2009), souvent préconisées comme outil stratégique au service de la performance dans une vision économique utilitariste. Des écarts grandissants, parfois à caractère ambigüe (Dagenais, 2015), apparaissent entre le discours managérial et la réalité du travail.
Ces situations, vecteurs de détérioration de la confiance génèrent la remise en cause de certaines pratiques managériales et suscitent parfois un sentiment d’indignation conduisant à la diffusion et à l’entretien d’une véritable défiance de la part des salariés. La discréditation de la légitimité fragilise la crédibilité et la pérennité des organisations (Chouaib & Zaddem, 2012). Cette « rupture du lien entreprise-salarié » dans le cadre plus général d’une « fabrique de la défiance » (Ely, 2015) conduit à des conflits entre respect de l’organisation et besoins de l’individu.
Les travaux attendus dans cet axe pourront interroger l’intérêt et la nécessité de révéler ces procédés, les processus susceptibles d’engendrer de la corruption (Lavallee, Razafindrakoto, Roubaud, 2010), les pratiques non éthiques, le rôle des communications dans la construction d’un savoir éthique (Fortin, Leclerc, Parent, 2011) dans les organisations, etc.
Pour ces quatre axes, les propositions de communication pourront être fondées sur des recherches empiriques récentes et achevées. Des réflexions épistémologiques ou méthodologiques appuyées sur des exemples de terrain pourront également être acceptées.