Le stress est-il une condition de performance en entreprise ?
Dans un contexte économique turbulent à la fois volatile, incertain, complexe et ambigu (VUCA), et plus largement un environnement bouleversé par les crises, les entreprises subissent de nombreux chocs.
Dans un article de la Harvard Business Review, le consultant Ron Ashkenas défend que face à une telle situation, les managers ont tendance à créer davantage de complexité organisationnelle. Ce paradoxe qui naît au cœur d’une société valorisant la performance à tout prix produit des niveaux de stress élevés.
Dans ce contexte, le mythe d’un stress bénéfique permettant aux individus d’affronter et de s’adapter à un nouveau contexte persiste. Mais mérite-t-il d’être banni ou au contraire cultivé ?
Combattre le stress : le devoir de l’employeur
La notion de stress positif s’est largement répandue dans le monde du travail depuis la fin des années 2000. Les chercheurs Gopal Kanji et Parvesh Chopra ont ouvert la voie en défendant l’existence d’un stress potentiellement « sain » au travail (par opposition à un stress « malsain »).
Ce stress sain, d’une durée relativement courte, correspondrait à un niveau moyennement élevé associé à un bon niveau de maîtrise de la situation.
Les chercheurs Simon Dolan et André Arsenault ont conclu de leur côté que le stress stimulerait la créativité et inciterait à dépasser les difficultés pour réussir.
Mais rapidement, l’accord national interprofessionnel sur le stress est venu remettre en cause cette idéologie du stress positif au travail. Au-delà de rendre responsable tout employeur de déterminer les mesures appropriées, cet accord rappelle que tout problème de stress identifié doit faire l’objet d’une action pour le prévenir, l’éliminer ou, à défaut, le réduire.
Le professeur Éric Gosselin, spécialisé en psychologie du travail, a étudié les résultats de 52 études sur le thème. Selon lui, 75 % d’entre elles concluent que lorsque le stress augmente la performance baisse. Seulement 10 % des études observent que la performance s’accroît avec un peu de stress sachant qu’il diminue dès que la dose de stress augmente.
Le professeur Philippe Rodet, ancien urgentiste, rappelle que la raison est simplement hormonale, l’adrénaline produite par le stress provoque la baisse de l’acétylcholine indispensable à la motivation. Ainsi, dans un monde du travail assénant une performance régulière, considérer le stress comme nécessaire à la productivité peut se révéler un principe dangereux.
Le stress, maladie ou remède ?
Les études œuvrant à relever des mesures objectives du stress sont sans équivoque sur ses conséquences sur la santé. Celui-ci engendre principalement des dysfonctionnements cardiaques divers et d’autres somatisations comme la perte d’appétit, les maux de tête ou divers troubles du sommeil.
Des situations de stress chronique conduisent au syndrome d’épuisement professionnel appelé communément burn-out. Les personnes atteintes de burn-out souffrent de divers symptômes psychologiques (irritabilité, démotivation, anxiété, déconcentration, etc.) et physiques (fatigue, trouble digestif et du sommeil, douleurs, etc.).
Le médecin du travail, Bernard Salengro, défend de longue date que considérer le stress comme potentiellement positif revienne à considérer une maladie comme potentiellement positive.
Mais qu’en est-il d’une faible dose de stress ?
En pharmacologie, l’hormèse désigne l’introduction d’une faible dose de substance nocive pour agir comme un remède grâce à la réaction excessive de l’organisme. Les travaux du toxicologue allemand Hugo Schultz montrèrent dès 1888 que de petites doses de poison stimulaient la croissance de levures alors que des doses plus importantes l’altéraient. Ainsi, l’exposition à de faibles doses de phénomènes générateurs de stress pourrait s’avérer salutaire.
D’après le philosophe des sciences du hasard Nassim Nicholas Taleb, l’hormèse serait la norme et son absence le problème. Il nomme « antifragilité » cette capacité des systèmes à se renforcer lorsqu’ils sont soumis à des stress externes comme des crises ou des phénomènes imprévisibles.
Selon Taleb, les entrepreneurs qui dirigent la plupart des petites et moyennes entreprises permettent aux systèmes de se renforcer. Par leur prise de risque à la création ou au lancement de nouveaux produits, ils perturbent leurs écosystèmes d’affaires et introduisent une « hormèse entrepreneuriale ».
Ainsi, l’arrivée de nouveaux concurrents, de nouvelles normes, d’innovations radicales, etc. sont autant de stress externes qui obligent les entreprises de l’écosystème à s’adapter et par conséquent à se renforcer.
Mais, in fine, ce sont les entrepreneurs, en moyenne plus stressés que leurs salariés, qui assument ce risque d’échec ou de faillite de l’entreprise.
L’inévitable stress entrepreneurial
Dans son « équation fondamentale de la santé du dirigeant », le professeur Olivier Torrès, fondateur du laboratoire Amarok, identifie le stress et la solitude comme facteurs pathogènes de l’entrepreneuriat. L’optimisme, la capacité à rebondir et la croyance en la maîtrise de son destin sont eux considérés comme facteurs « salutogènes » pour la santé de l’entrepreneur.
Les systèmes semblent tirer bénéfices du stress. Dans les écosystèmes d’affaires, l’hormèse entrepreneuriale oblige les entreprises à se renforcer pour ne pas disparaître. Mais, contrairement aux systèmes, le stress a des effets négatifs sur les individus au travail. Celui-ci altère leur performance et leur capacité d’adaptation aux bouleversements externes.
Ainsi, l’entrepreneur indispensable au renforcement du système est inévitablement exposé au stress.
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Plus on monte dans la pyramide hiérarchique, plus les individus sont stressés et deviennent les principaux « agents stresseurs » à même de soumettre leurs collaborateurs au stress.
C’est peut-être dans la capacité des entrepreneurs à diminuer leur stress post création, et aux dirigeants à ne surtout pas le transmettre au reste de l’organisation, que résiderait la clé d’une performance durable.
À cet effet, le professeur Rodet rappelle qu’on ne peut pas agir sur les bouleversements externes imprévisibles mais qu’en revanche on peut agir sur les facteurs de protection interne par un management visant à agir sur les émotions positives et à bannir le stress.
Julien Granata does not work for, consult, own shares in or receive funding from any company or organization that would benefit from this article, and has disclosed no relevant affiliations beyond their academic appointment.