[Vulgarisation] Pourquoi l’aide publique au développement doit (aussi) servir à soutenir les entreprises privées en Afrique
Si la crise sanitaire a faiblement impacté l’Afrique, le continent a en revanche subi fortement les conséquences économiques du ralentissement économique mondial. L’Afrique a connu en 2020 sa première récession en 25 ans. Contrairement aux économies occidentales, peu de pays africains ont été en mesure de mettre en place des aides économiques et sociales d’envergure pour atténuer les effets de la crise. Plusieurs pays pourraient même suivre la Zambie et se retrouver rapidement en défaut de paiement.
Le sommet sur le financement des économies africaines qui s’est tenu à Paris le 18 mai dernier se donnait pour objectif d’apporter une respiration financière aux économies africaines. L’ambition affichée ? Récolter 100 milliards de dollars pour combler en partie le besoin de financement de l’Afrique estimé à 1200 milliards de dollars par le Fonds monétaire international (FMI).
Le bilan du sommet reste mitigé. S’il a permis des avancées notamment sur l’accès aux vaccins et la future allocation des droits de tirage spéciaux, les montants en jeu sont une « goutte d’eau » par rapport aux besoins pour reprendre les mots du président sénégalais Macky Sall. Le président français Emmanuel Macron, à l’origine du sommet, a lui-même reconnu que le compte n’y était pas.
Un point important est passé inaperçu. Le communiqué final a souligné l’importance de soutenir le secteur privé, et en particulier les micros, petites et moyennes entreprises (MPME) pour assurer une croissance à long terme du continent. Bien qu’il s’agisse avant tout de déclarations d’intention, la focale sur secteur privé amène un changement paradigmatique notoire autour de l’aide publique au développement.
Face au défi de l’emploi
L’aide publique au développement (APD) reste, le plus souvent, davantage associée aux dons pour soutenir des secteurs sociaux (éducation, santé) ou pour faire face à des urgences humanitaires qu’à un soutien au secteur privé. Une part limitée de l’APD s’oriente néanmoins vers les entreprises.
Ce choix d’orienter des ressources publiques rares à des acteurs privés s’explique par le rôle essentiel que jouent les entreprises dans le développement économique. Les entreprises (formelles) permettent aux ménages de sortir de la pauvreté en offrant des emplois décents quand la Banque africaine de Développement estime que les trois quarts des entrants sur le marché du travail en Afrique ne trouvent pas d’emplois.
Ce déficit d’emplois risque d’ailleurs de s’accentuer dans les années à venir en raison des évolutions démographiques du continent. Le recours aux emplois informels, dominant sur le continent, demeure, lui, insatisfaisant. La grande majorité des entreprises informelles peinent à croître au-delà du cercle familial et fournissent des emplois peu rémunérateurs et faiblement protecteurs des salariés.
Au-delà de ces effets sur l’emploi, les entreprises restent une source essentielle d’innovation. Elles permettent également d’améliorer le financement de l’État en élargissant l’assiette fiscale. Un secteur privé dynamique facilite l’insertion dans les chaînes de valeur mondiales et améliore les performances à l’exportation (et donc l’entrée de devises permettant d’accéder à des biens importés).
Les effets peuvent également s’avérer plus diffus. L’existence de perspectives de débouchés peut, par exemple, inciter les futurs employés à se former, améliorant en retour le niveau d’éducation de la population. C’est aussi une source de pacification des relations sociales dans les zones fragiles et en post-conflit.
Financement direct ou indirect ?
L’aide publique au développement à destination du secteur privé transite principalement par les Institutions Financières de Développement (IFD) qui sont des organisations de développement spécialisées dans le financement des entreprises dans les pays à faible et moyen revenu. Les IFD regroupent à la fois les départements ou institutions spécialisées des banques de développement multilatérales, à l’image de la SFI pour la Banque mondiale, et de nombreuses organisations nationales comme les IFD européennes (réunit dans le réseau EDFI), l’US International Development Finance Corporation ou FinDev Canada.
Les IFD se distinguent des investisseurs privés par deux aspects. D’une part, les projets soutenus par les IFD exigent non seulement une viabilité financière mais aussi des effets positifs sur les autres acteurs économiques, sur la société et sur l’environnement. Autrement dit, ces institutions doivent combiner trois impératifs : rentabilité financière, gestion des risques et impact (économique, social et/ou environnemental).
D’autre part, ces investissements bénéficient d’un soutien public afin de favoriser cette troisième dimension. Cet apport de ressources permet aux IFD de fournir des financements à des conditions préférentielles (taux réduit, maturité allongée, période de grâce) et d’offrir des services d’assistance technique aux clients à titre quasi gratuit.
Les IFD utilisent à la fois des financements directs et indirects pour soutenir les entreprises privées. Les financements directs s’assimilent à des prêts ou des prises de participation à destination d’entreprises (non-financières).
Les financements indirects, eux, prennent le plus souvent la forme de lignes de crédit ou de garanties fournies à des intermédiaires financiers opérant dans les pays à faible revenu. Il s’agit le plus souvent de banques commerciales et d’institutions de micro-finance, mais également de plus en plus de fonds d’investissement dédiés aux entreprises dans les pays émergents.
Le financement est indirect car les fonds alloués à ces intermédiaires financiers suivent une finalité précise et doivent servir à soutenir des investissements en lien avec cet objectif. Par exemple, dans le cas où une IFD fournit une ligne de crédit à une banque pour soutenir l’entreprenariat des femmes, la banque locale devra prouver qu’elle utilise les fonds mobilisés à cette fin.
Le financement direct a l’avantage de permettre aux bailleurs de contrôler parfaitement l’usage des fonds. L’inconvénient est qu’en raison de leur moindre connaissance du terrain, ils sont parfois incapables de cibler les MPME. Le financement indirect permet, certes imparfaitement, de combler cette lacune en éclatant un financement important fourni à un intermédiaire financier en de nombreux petits investissements à destination d’entreprises locales.
Rééquilibrer les priorités
Les études actuelles montrent que les IFD peinent à trouver le point d’équilibre entre les trois impératifs précités. La priorité reste donnée au couple rentabilité – gestion du risque, au détriment de l’impact (économique, social et environnemental) des investissements. Cette difficulté à cibler les entreprises ayant un fort impact trouve diverses sources d’explications.
Un des principaux obstacles tient à la difficulté d’évaluer les impacts des investissements. Alors que la rentabilité et les risques peuvent être facilement monétisés, cela s’avère plus complexe pour les impacts. Ceux-ci recouvrent des aspects qualitatifs (qualité des emplois créés, égalité de genre, préservation de l’environnement, soutien à la cohésion sociale, etc.), se matérialisent à (très) long terme et sont parfois diffus (effet sur la communauté locale, sur la chaîne de valeur, etc.). Progresser dans la mesure de l’impact des investissements semble donc essentiel pour améliorer l’allocation des ressources vers les investissements à fort impact.
En outre, les bailleurs ne parviennent pas toujours à financer les entreprises ayant le plus fort impact. Toutes les entreprises n’ont pas le même effet d’entraînement sur l’économie et la société. Certaines entreprises sont de réelles locomotives. Il s’agit souvent d’entreprises pionnières, qui créent de nouveaux marchés (soit en innovant soit en s’implantant dans des zones délaissées) ; il peut aussi être question d’entreprises à forte croissance qui sont à l’origine de la majorité des créations d’emplois et des innovations.
Financer ces entreprises à fort impact implique une prise de risque élevée. Il est très complexe d’identifier ex-ante si les projets portés par ces firmes seront viables. Les entreprises pionnières explorent de nouveaux marchés dont le développement demeure une inconnue. Identifier les futures entreprises à forte croissance est un exercice compliqué même en recourant aux méthodes les plus avancées de traitement des « big data ».
Un trou dans la raquette
Enfin, ces entreprises sont le plus souvent des MPME. Or, l’activité financière présente un coût fixe irrécupérable assez élevé, incluant le coût pour évaluer les dossiers de prêt et celui de suivi des investissements. Il semble dès lors plus rentable d’orienter les fonds vers des projets et des entreprises de taille importante qui peuvent absorber ces coûts fixes.
Les IFD qui bénéficient de fonds publics pourraient utiliser ces ressources pour compenser le risque et s’extraire de la contrainte financière à court terme. Reste que, comme nous le montrons dans une étude récente, les IFD mènent une politique de prêts conservatrice et peinent à financer, directement ou indirectement, les MPME.
Elles demandent, en effet, à leurs clients de très nombreuses garanties que la plupart des entreprises africaines sont incapables de fournir faute de données financières fiables. En outre, quand leurs investissements se chiffrent en millions d’euros, le besoin de financement réel des MPME reste plutôt de l’ordre de dizaines ou centaines de milliers d’euros. Il manque des intermédiaires financiers sur lesquels s’appuyer pour financer un “missing middle”, un gap existant entre la micro-finance (prêts allant jusqu’à quelques milliers d’euros) et les crédits bancaires (démarrant à partir de plusieurs centaines de milliers d’euros).
Le communiqué final du sommet montre que les obstacles identifiés sont reconnus. Il reste à passer des bonnes intentions aux actes puisque les annonces n’impliquent aucun objectif chiffré. Il paraît notamment utile d’augmenter les volumes d’aide pour permettre de diminuer les risques et compenser les coûts induits par l’action en faveur des MPME en Afrique.
Florian Léon est membre de la Ferdi (think tank spécialisé dans les questions de développement international).