[Vulgarisation] Publicité : avec la Covid, le discours des marques a changé
Depuis l’apparition de la crise sanitaire en France liée à la Covid-19, les marques renforcent leur posture politique et leur rôle sociétal en communicant davantage sur leurs engagements en termes de responsabilité sociétale des entreprises (RSE).
Or, la crise n’a fait qu’accélérer une tendance ancienne, puisque les marques ont opéré cette mue dès le milieu des années 2000. Depuis la crise économique de 2008, elles tendent vers un discours performatif, c’est-à-dire, que la parole accomplit l’action à laquelle elles font référence. Par exemple, lorsque le maire dit « je vous déclare mari et femme » il marie deux individus, sa parole est donc devenue une action.
L’émergence du modèle d’alter-marque
Dans notre thèse de doctorat portant sur la reconfiguration des marques suite à la crise économique et sociale de 2008, nous avions déjà démontré l’émergence d’un nouveau modèle de marque, l’alter-marque, issu d’un « darwinisme des marques ».
Alors que Darwin (1809-1882) montrait à travers sa théorie que la nature sélectionne les espèces animales et végétales les mieux adaptées à leur environnement en écartant les autres, vouées à l’échec, nous avions soutenu l’hypothèse d’un « darwinisme des marques ». Les marques, en tant qu’organismes vivants, n’auraient pas d’autre choix que de s’adapter à la mutation qui est en cours pour survivre. Un modèle alternatif à la marque aurait émergé.
En considérant la marque comme un système à part entière, l’alter-marque constituerait le méta-système approprié à la mutation sociétale en cours. « Alter » par la nature marginale de son activité, qui se met en position de collision frontale avec le modèle de marque traditionnel.
Car, si le propre de la marque est en premier lieu de créer de la valeur pour l’entreprise, suivant une logique capitaliste, son processus d’altérité nous amène à nous interroger de manière plus philosophique sur la métamorphose structurelle de la marque pour répondre à un nouveau capitalisme, davantage solidaire.
Ces modèles d’alter-marques semblent se construire de manière différente des marques traditionnelles (c’est-à-dire à valeur purement commerciale, associées aux marchés de masse) en revendiquant davantage d’éthique, d’équité, de contribution sociétale et d’engagement citoyen.
Cela s’est traduit par un discours performatif dans les publicités à la fin des années 2000 : « Venez comme vous êtes » chez la chaîne de fast-food McDonald’s, « Changer l’énergie ensemble » avec l’électricien EDF, les marques ne manquent pas de se positionner comme des prescripteurs auprès des consommateurs, en les impliquant davantage.
Si la crise de 2008 avait poussé les marques à muter d’une posture économique à une posture politique, la crise sanitaire d’aujourd’hui semble faire du modèle d’alter-marque non plus un modèle marginal, mais celui qui domine la scène médiatique et sociale. La marque cherche plus que jamais à s’imposer comme un acteur du quotidien des Français durant cette crise.
Dire, c’est faire
C’est d’ailleurs dans ce nouveau contexte de crise que le slogan de McDonald’s « Venez comme vous êtes » est revenu sur le devant de la scène publicitaire, comme pour mieux marquer l’imaginaire collectif de son empreinte passée, signe d’une époque où chacun pouvait venir comme il était.
Plus précisément, la campagne publicitaire, rebaptisée « Revenez comme vous êtes » en juin 2020, vient soulager les Français après de longs mois de confinement en accompagnant le discours d’annonce du président Emmanuel Macron au sujet de la réouverture des restaurants dans tout le pays.
Face à cette nouvelle crise, comment le discours des marques évolue-t-il ? Assiste-t-on véritablement à une mue du modèle de marque ? Il est bien évidemment trop tôt pour en tirer des conséquences définitives, mais les marques semblent s’adapter à ce contexte en se positionnant davantage comme des acteurs sociétaux à part entière.
En effet, certaines ont accompagné les Français dans le confinement avec des messages publicitaires performatifs : « Pour vous soutenir, nous bloquons le prix de toutes les marques » annonce le distributeur Intermarché – en n’oubliant pas de remercier les héros discrets de la crise sanitaire sur sa page Twitter.
Le moteur de recherche Google, de son côté, encourage sur sa page d’accueil à rester à la maison en illustrant le confinement de façon festive et colorée, afin de rendre ce moment le moins pénible possible.
Les opérateurs de téléphonie mobile ne sont pas en reste, et Orange n’a pas hésité à offrir à ses clients Internet 4 chaînes OCS (Orange Cinéma Séries) et 5 chaînes jeunesse, montrant ainsi son engagement et soutien durant le confinement.
Mais la posture politique de l’alter-marque passe avant tout par des engagements concrets. L’équipementier Adidas a bien compris que dire ne suffisait plus, mais que le discours publicitaire devait s’accompagner de faits.
Ainsi, pour tout achat d’un article de plus de 20 euros sur l’application Adidas ou les sites de vente en ligne des marques Adidas et Reebok, la marque offrait un don de deux euros au profit du Fonds de solidarité Covid-19 de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) du 18 avril au 16 mai 2020.
Le but de cette opération étant de soutenir les travaux de l’OMS « visant à suivre et à comprendre la propagation du virus, à garantir que les patients reçoivent les soins dont ils ont besoin et que les travailleurs de première ligne reçoivent les fournitures et les informations essentielles, et à accélérer les efforts de mise au point de vaccins, de tests et de traitements », précise Adidas.
En conclusion, la crise sanitaire n’a fait que renforcer la posture politique des marques à travers un discours performatif qui vise à transformer les mots en actions durant la crise sanitaire. L’alter-marque apparaît comme un nouveau garant de l’individu hypermoderne, supplantant le rôle de l’État en endossant son rôle de prescripteur social (« Venez comme vous êtes » signait McDonald’s).
Avec le déclin des grandes structures traditionnelles de sens, la marque entre ainsi dans une phase hypermoderne, tendant vers une posture politique.
Frédéric Aubrun est membre du centre de recherche Marge (EA 3712), rattaché à l’Université Lyon 3 : https://marge.univ-lyon3.fr. L’équipe, interdisciplinaire, regroupe des spécialistes de littératures et d’Info-com (sections 09, 14, 13 et 71 du CNU)
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