Le projet de report de l’âge légal de départ à la retraite, de 62 ans à 64 ans, actuellement en débat, remet en lumière les questions d’amélioration du taux d’emploi des seniors, de pénibilité des tâches et de santé au travail.
Deux grandes questions demeurent cependant peu discutées : la transition de l’emploi vers la retraite et la fluidité des parcours professionnels, éléments pourtant essentiels afin d’envisager un débat apaisé sur la réforme des retraites. Il est en effet illusoire d’imaginer faire le même métier, en tout cas de la même façon (organisation, gestes, postures, horaires), à 20 ans et à plus de 60 ans, surtout si ce métier est pénible physiquement ou psychologiquement.
Sur le terrain, les exemples concrets ne manquent pas et démontrent que les conditions d’exercice d’un même métier peuvent parfaitement être aménagées tout au long de la carrière, et notamment dans les dernières années.
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Dans le cadre d’entretiens menés avec des salariés, nous avons par exemple rencontré Thibault* S., aujourd’hui jeune couvreur en bâtiment, dont le projet de deuxième partie de carrière est de se diriger vers la menuiserie ou la fabrication en atelier pour exercer un métier moins pénible.
Le cas de Sylvain M. constitue également une initiative intéressante : cet agent de nettoyage senior a obtenu de son entreprise l’achat d’une laveuse autoportée (sur laquelle le salarié peut s’asseoir) afin d’alléger physiquement son travail.
De même, Myriam T., infirmière désormais retraitée, avait d’abord commencé à exercer à l’hôpital en enchaînant les gardes de nuit. Elle a poursuivi sa carrière en dispensaire, puis en centres de PMI (protection maternelle et infantile), en cadre scolaire, et enfin dans un centre de transfusion sanguine juste avant de prendre sa retraite.
Des exemples ailleurs en Europe
Une étude de France Stratégie publiée en 2018 avait établi des comparaisons internationales pour identifier les pratiques qui ont montré leurs effets, par exemple la stratégie de « vieillissement actif » des pays nordiques.
Au Danemark, où l’âge légal de départ est fixé actuellement à 67 ans et le taux d’emploi des 55-64 ans était de 72,3 % en 2021, l’outil principal de maintien dans l’emploi des seniors est la flexibilité dans l’organisation de son temps de travail (fixé à 37 heures hebdomadaires). Dans le secteur public, cette flexibilité est couplée à une réduction horaire avec maintien du salaire pour les plus de 60 ans permettant ainsi aux salariés seniors de se maintenir en emploi plus longtemps.
En Finlande, la reconnaissance des besoins spécifiques des travailleurs âgés ainsi que la promotion « d’actions ciblées sur la coopération et les interactions entre les équipes et le management » ont permis d’améliorer sensiblement la qualité de vie au travail des seniors.
En Allemagne, où l’âge légal de départ en retraite est fixé à 65 ans et onze mois et 17 % des 65-69 ans sont en emploi en 2021, la négociation de conventions collectives au niveau des branches et dans les entreprises a permis l’adoption de mesures d’adéquation des conditions de travail au vieillissement des salariés. Des dispositifs de transitions « flexibles » vers la retraite ont fait partie des mesures prises dès les années 2010. Parmi celles-ci, nous pouvons citer notamment l’adaptation de l’environnement de travail, la flexibilité de l’organisation du temps de travail ou encore l’application du life long learning (apprentissage tout au long de la vie).
Notons que le « Vertrauensarbeitszeit » (travail basé sur la confiance) est un concept de flexibilité du temps de travail qui repose sur un système d’horaires de travail flexibles fondé sur la confiance réciproque entre employeurs et salariés.
Penser la fluidité plutôt que la mobilité
Ces différentes initiatives, en termes d’aménagement des fins de carrière dans les différents pays européens, amènent plus largement à s’interroger sur un autre élément finalement peu discuté dans les débats et dans les travaux de recherche : celui de la fluidité des parcours professionnels. Nous concevons cette notion de fluidité comme la possibilité de penser les transitions professionnelles en amont de la retraite, mais aussi tout au long de la carrière.
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Beaucoup plus liquide que celle de mobilité professionnelle, fréquemment utilisée en gestion des ressources humaines (GRH), la fluidité se traduit d’abord par un glissement de logique, de celle de carrière à celle de parcours, en s’appuyant non seulement sur le développement de compétences des individus mais également sur leurs envies et capacités tout au long de la vie.
Ces deux questions autour de l’aménagement des parcours et des transitions emploi-retraite doivent ainsi plus que jamais s’inscrire au centre du dialogue social.
*Tous les prénoms ont été modifiés.