[AAA] Intelligences collectives : communautés et interactions épistémiques

Nos activités instrumentées par les technologies de l’information et de la communication (TIC) résultent d’un modèle de développement économique, technologique, politique et culturel initié avec la « société de l’information » et continué avec « l’économie de la connaissance ». La société et la science ouvertes en constituent les jalons les plus récents.

Cette société et cette science ouvertes sont imbriquées dans une économie qui s’appuie sur la maturité de ces TIC et sur la stabilité des réseaux. Elles se composent d’infrastructures et de matériaux, d’objets et d’agents technologiques, d’interactions instrumentées et d’une diversité de ressources (logiciels, partitions, documents textuels, données, etc.). Les réseaux de type socionumérique y concourent, d’une part parce qu’ils sont fondés sur une sociabilité instrumentée et appréhendés comme des espaces pouvant accueillir une grande diversité d’activités (démarche d’information et de veille, génération de contenus par les utilisateurs et médiation numérique notamment), et d’autre part parce que la massification des accès conduit à re-symétriser les relations entre des usagers s’inscrivant dans des classes d’experts et des classes de profanes, à l’instar des projets et démarches relevant des sciences participatives. Déployées dans de nombreux dispositifs sociotechniques, les technologies soutiennent le fonctionnement de ces réseaux qui font l’objet d’études relatives aux traces numériques, aux usages, aux fractures numériques ou au digital labor par exemple. La massification des TIC dans l’environnement numérique est illustrée par le déploiement du web et des services qu’il rend possibles. Le modèle de développement sous-jacent à cette massification a, jusque récemment, envisagé des perspectives comme le web sémantique et le web de données. Au plan économique, toutes ces ressources sont caractérisées comme des biens publics ou privés, mais aussi comme des biens communs. Les données qui relèvent de ces catégorisations, qu’elles soient ouvertes, liées ou massives, sont inhérentes au fonctionnement des plateformes, des dispositifs sociotechniques et de leurs services, et indispensables à ce modèle qui requiert et se nourrit de processus informationnels et communicationnels mis en œuvre dans des communautés auxquelles prennent part les acteurs de la société.

Étudiées à partir du XIXe siècle par le sociologue F. Tönnies, les communautés sont notamment analysées par les chercheurs en SIC qui examinent les processus informationnels et communicationnels mis en œuvre dans les réseaux et les dispositifs sociotechniques. La littérature relative aux communautés rappelle le principe d’un intérêt commun et leur enracinement dans des structures sociales et des institutions préexistantes. Ainsi, pour les communautés, les réseaux sont le support du partage de nombreux savoirs (profanes, expérientiels, construits, théoriques, académiques) qui constituent des espaces d’interactions dont la finalité (voulue ou induite) se révèle sous ces dits savoirs. Les recherches académiques ont établi une typologie de communautés, notamment virtuelles, de pratique, d’apprenants, ou épistémiques, et montré la présence de propriétés épistémiques dans ces différents types de communautés ; en outre, l’étude de communautés virtuelles de pratique dans une organisation plateformisée a mis en perspective leur propension à l’intelligence collective.

Si le concept d’intelligence collective est ancien, notamment identifié en regard de la construction de connaissances scientifiques et de la religion, son renouveau est favorisé par la convergence entre l’informatique et les télécommunications. En référence à cette posture, Engelbart évoquait des individus aux esprits distribués et co-évoluant dans le système technique. L’idée d’une intelligence collective instrumentée, qui irrigue les collectifs où elle opère, a émergé avec l’environnement numérique et donné lieu à un regard anthropologique depuis lequel s’articulent une structure technologique et ses implications sociales. La notion, reprise dans la perspective du web social où les internautes sont considérés comme participant du développement des applications, est aussi observée sous l’angle politique, cette approche sociale de l’intelligence collective met en lumière le désintérêt porté aux questions de codification des connaissances qui sont pourtant essentielles à leur circulation et leur organisation. Or, l’imbrication des réseaux et des communautés renouvelle et ravive la notion d’intelligence collective en la pluralisant ; elle compose un objet d’études d’autant plus actuel que la circulation des connaissances scientifiques, comme la formation d’une culture scientifique des citoyens, sont au cœur des notions de science et de société ouvertes.

Axes thématiques

Aussi, nous proposons d’accueillir et de rassembler autour de ce numéro thématique les travaux disciplinaires comme interdisciplinaires ou de sciences appliquées qui étudient et manipulent cet objet. Les articles pourront mettre en lumière les agencements possibles ou qu’ils questionnent :

– ils pourront en étudier la portée théorique comme proposer des études d’usages des données (open data, linked data, open linked data) enchâssées à ces agencements ;

– alors que les travaux relatifs aux technologies de l’intelligence se multiplient, des analyses portant sur la place et le rôle des communautés dans la formation et le développement des intelligences collectives ou sur les convergences/divergences entre intelligence collective et intelligence artificielle pourront être proposées.

– impliqués dans la mise en œuvre des interactions sociales, les propositions relatives aux réseaux socionumériques pourront par exemple porter sur la dynamique du rapport pouvoir / savoir avec laquelle ils sont en prise : d’une part du point de vue des modalités de la construction de l’information, des données et des connaissances (les choix technologiques et leur gouvernance par exemple), et d’autre part en regard de l’autorité, de la confiance et de la crédibilité de l’information et des connaissances dans leurs dimensions de médiation et de support de l’action, que ces dernières soient à vocation sociétale, délibérative, ou scientifique.

– l’actualité des problématiques relatives aux plateformes numériques, leurs rapports aux communautés en matière de coordination et d’assistance, d’accessibilité, d’utilisabilité et d’usage des ressources et des connaissances, de mise à distance d’un technocentrisme combiné à la calculabilité des données plus qu’aux questionnements relatifs à la synthèse effectuée par l’intellect pourront être explorés.

– sont également bienvenus les travaux questionnant les principes et la portée éthique de l’objet, aux plans du capitalisme de surveillance, de la recherche académique, mais aussi de problématiques économiques et juridiques qui le traversent, notamment en regard de la gouvernance des données, ou des choix technologiques.

Modalités pratiques d’envoi de propositions

Les soumissions s’effectuent sur la base du texte intégral d’un article rédigé comptant de 20 à 25 pages (50 000 signes environ, espaces, notes de bas de page et bibliographie compris). Ils sont acceptés en français et en anglais. Les auteurs prendront soin de respecter la feuille de style de la revue disponible à : https://lcn.revuesonline.com/appel.jsp

L’évaluation des propositions sera réalisée en double aveugle par les membres du comité de lecture. Pour s’assurer du bon déroulement de l’évaluation, nous remercions les auteurs de bien vouloir adresser deux fichiers aux coordonnateurs. L’un anonymisé comportera le titre, le résumé en français et en anglais, 3 à 5 mots clefs, et le texte de l’article. Les auteurs auront pris le soin de retirer tout élément permettant de les identifier. Le second fichier contiendra le titre de l’article, l’identité des auteurs, leur affiliation institutionnelle ainsi que leurs coordonnées électroniques.

Nous remercions les auteurs de bien vouloir adresser conjointement et directement leurs propositions d’articles aux coordonnateurs aux adresses : epierot@free.fr et antoine.henry@univ-lille.fr.

Coordinateurs du numéro

Numéro coordonné par Edwige Pierot et Antoine Henry

Comité de lecture

  •  Serge Agostinelli, Université des Antilles
  •  Ghislaine Chartron, CNAM
  •  Laurence Corroy, Université de Lorraine
  •  Armen Khatchatourov, Université Gustave Eiffel
  •  Fabien Liénard, Université du Havre
  •  Widad Mustafa El Hadi, Université de Lille
  •  Nathalie Pinède, Université Bordeaux Montaigne
  •  Khaldoun Zreik, Université Paris 8

Calendrier

  • Date limite de soumission: 30/06/2021

  • Date de notification aux auteurs : 31/07/2021
  • Date d’envoi de la version finale : 31/08/2021
  • Parution du numéro : fin septembre 2021

Références bibliographiques

Cardon, D. (2015). À quoi rêvent les algorithmes : nos vies à l’heure des big data. Paris : Le Seuil éditions.

De Certeau, M. (1990). L’invention du quotidien I. Arts de faire. Paris : Gallimard éditions.

Flichy, P. (coord.) (2010). « Les nouvelles formes de collectifs », Réseaux, vol. 6, n° 164. Paris : La Découverte éditions.

Jeanneret, Y. (2011). Y-a-t-il (vraiment) des technologies de l’information ? Villeneuve d’Ascq : Presses universitaires du Septentrion, nouvelle édition.

Kerckhove, D. de. (2000). L’intelligence des Réseaux. Paris : Odile Jacob éditions.

Lévy, P. (1997). L’intelligence collective : pour une anthropologie du cyberespace. Paris : La Découverte éditions.

Salaün, J.-M. (2012). Vu, Lu, Su : les architectes de l’information face à l’oligopole du web. Paris : La Découverte éditions.

Stiegler, B. (2015). La société automatique : 1 l’avenir du travail. Paris : Fayard éditions.

Vidal, G. (dir.) (2012). La sociologie des usages : continuités et transformations. Paris : Hermès Lavoisier éditions.

Wenger, E. (1998). Communities of practice. Cambridge : Cambridge University Press.

 

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