[AAC] « Le bal des actifs » : écrire le travail
À la littérature on accorde le talent de la critique et la prospective : non seulement la capacité, de se saisir des enjeux d’une société comme d’en dénoncer les excès et les dysfonctionnements (via l’observation réaliste, la satire voire le pamphlet), mais aussi, celle d’imaginer le meilleur, plus souvent le pire de nos sociétés (à travers l’utopie ou la dystopie).
Le travail, aussi, représente, pour la littérature un objet d’enquête, de révolte ou d’inquiétude et ce depuis le XIXe siècle. La littérature en comprend la langue (son jargon, ses codes, sa rhétorique), incarne dans les corps et les réflexions de ses personnages de fiction ses réalités (la fatigue, la pénibilité, le stress…), elle en transpose les routines, problématise les « situations » (l’aliénation, la précarité, le harcèlement…) auxquels salariés, entrepreneurs, chômeurs sont confrontés. La littérature éclaire en somme les réalités du travail, sous des modalités variées : hyperréaliste ou amplifiée. Dans tous les cas, en les mettant sous les yeux des lecteurs, elle s’en fait la dépositaire
Les progrès techniques de l’automatisation, la robotique, l’informatique, puis la révolution numérique, la réduction du temps de travail, le télétravail, les combats menés pour la justice sociale auraient pu laisser croire que le travail deviendrait moins pénible au XXIème siècle, physiquement et moralement. La réalité crue des inégalités nous rappelle qu’au contraire la pénibilité augmente, qu’elle touche sous des modalités variées ouvriers et cadres. La littérature est là pour en témoigner et s’en insurger.
Le travail, plus que jamais assujetti aux lois du capitalisme financier, s’est détaché du monde réel du travail dont la finalité est pourtant la production de richesses et de valeurs (A. Nothomb, S. Lucbert). Les effets pervers redoutables qu’il alimente – le management de la peur, l’ubérisation – indexés sur les objectifs chiffrés de rendements, de performances, infligent aux salariés un nouveau répertoire des souffrances au travail et des maltraitances auxquels on ne peut rester insensible – (V. Message, S. Abdelnour, F. Bon, L. Kaplan). La littérature pourrait-elle alors devenir une arme (S. Lucbert) dans sa critique radicale contre l’ennui abyssal, la démotivation, le découragement qui nous guette ? Est-ce du côté de l’humour et de l’ironie que les lecteurs pourraient chercher secours (G. Picard, P. Cossery, Z. Shepard) ? ou de l’imagination, au risque d’affronter l’effroi que produisent certaines dystopies totalitaires (Le bal des actifs) ?
Initié et porté par l’IUT de Paris Rives de Seine, en partenariat avec d’autres composantes et laboratoires de l’Université de Paris, tels que le CERLIS, ce colloque, ouvert autant aux chercheurs en littérature du 20ème et 21ème siècle, qu’en Sciences de l’information et de la Communication, en Sociologie, Philosophie, ou Psychologie, prenant acte des inquiétudes, et des nouveaux questionnements qui gravitent autour du travail, souhaite s’intéresser aux manières dont la littérature, se saisit des mutations majeures des activités humaines et des métiers, des méthodes de management, du monde de l’entreprise et de ses codes et questionne les impacts de ces changements sur notre rapport, notre santé, notre motivation au travail.
On pourrait montrer comment la littérature variant les genres (entre romans d’anticipation et romans du réel par exemple), et les styles (pamphlet, enquête, satire), puisant dans d’autres disciplines (journalisme, philosophie, psycho-sociologie, littérature) des concepts et des outils, parvient à éclairer les enjeux de notre société contemporaine et à interpeller ses lecteurs à travers des questions essentielles : à quoi sert le travail ? quelle place occupe-t-il dans nos vies contemporaines ? quelles révoltes et rébellions nous inspire-t-il ? Quelles dérives doit-on redouter ? Et pour demain, quel travail imaginer ?
Modalités de soumission
Envoyez votre proposition à celine.guillot@u-paris.fr ; frederique.giraud@u-paris.fr ; c.benestroff@gmail.com / 3000 signes maximum
avant le 15 décembre 2022.
La journée d’étude aura lieu le 16 2023 en présentiel.
Organisation
- Céline Guillot, maître de conférences en Littérature
- Frédérique Giraud, maître de conférences en sociologie
- Corinne Benestroff, psychologue clinicienne, docteur en littérature
Comité scientifique
- Céline Guillot, MCF en littérature à l’Université Paris cité, IUT Paris Rives de Seine, membre de l’équipe de recherches « littérature et histoires » de l’université Paris 8
- Frédérique Giraud MCF en sociologie à l’Université Paris cité, IUT Paris Rives de Seine, membre du CERLIS, membre associée du Centre Max Weber, équipe DPCS
Bibliographie sélective
Le travail vu par la littérature
Florence Aubenas, Le quai de ouistreham, Editions de l’Olivier, 2010, Point 2021.
Jérôme Baccelli, Carrières de sable, Attila, 2016
Stéphane Beauverger, Karim Berrouka, David Calvo et al. Au bal des actifs, demain les actifs, La Volte, 2017.
Arno Bertina, Des Châteaux qui brûlent, Verticales, 2017.
Ceux qui trop supportent, Verticales, 2021.
Hanna Bervaets, Les choses que nous avons vues, Le bruit du monde, 2022.
François Bon, Sortie d’usine, Editions de Minuit, 1982, Poche, 2011.
Albert Cossery, Les fainéants dans la vallée fertile, Editions Joëlle Losfled, 2019.
Maylis de Kerangal, Chemin de tables, Seuil, 2016.
-, Kiruna, La contre allée, 2019.
Sandra Lucbert, Personne ne sort les fusils, Seuil 2020, Points, 2021.
-, La Toile, Gallimard, 2017
Nicolas Mathieu, Connemara, Actes Sud, 2022.
Vincent Message, Cora dans la spirale, Seuil, 2019. Points 2020.
Amélie Nothomb, Stupeur de tremblement, Librairie générale française, 2014.
Yves Pagès, Petites natures mortes au travail, Editions verticales, 2000, Folio 2007.
Joseph Ponthus, A la ligne, Les éditions de la table Ronde, 2019, Folio Gallimard, 2020.
Georges Picard, Monsieur incapable, Editions Corti, 2020.
Zoé Shepard, Absolument dé-bor-dée !, Albin Michel, 2010, Points 2011.
Joy Sorman, Comme une bête, Gallimard, 2012 et Folio, 2014.
Michel Vinaver, La demande d’emploi : pièce en trente morceaux, L’Arche, 2015.
Sciences humaines et sociales (Sociologie, histoire)
Johann Chapoutot, Libres d’obéir, Le management, du nazisme à aujourd’hui, Gallimard, 2020.
Robert Linhart, L’Etabli, Les éditions de minuit, 1978, 1981.
-, La comédie humaine du travail. De la déshumanisation taylorienne à la sur-humanisation managériale. Erès sociologie Clinique, 2015.
David Graeber, Bullshit Jobs, Les liens qui libèrent, 2019.
Marie Pezé, Ils ne mourraient pas tous mais tous étaient frappés, Flammarion, 2010.
Alain Supiot, Le droit du travail, Paris, PUF, « Que sais-je ? », 2004.
L’esprit de Philadelphie. La justice sociale face au marché total, Seuil, Points essais, 2010.
-, La gouvernance par les nombres, Pluriel, 2020.
Bernard Friot, Puissance du salariat, 2021.
Commentaires récents