Travail, incommunication et organisation
La revue Hermes lance un appel à contributions pour son numéro 98 dont le dossier sera intitulé « travail, incommunication et organisation ». Coordinateurs : Benoît Cret (sociologie des organisations et économique), Lionel Lavarec (communication et travail) et Thierry Libaert (communication au sein des organisations). Superviseur : Vincent Liquète (sciences de l’information et de la communication)
Travail et organisation, deux termes distincts et souvent étudiés comme deux phénomènes isolés de la modernité. Chacun possède sa propre sociologie, ses propres indicateurs et ses propres questionnements. Pourtant, à bien y regarder, ils se révèlent irrémédiablement intriqués.
Aux débuts de l’industrialisation, la recherche d’un travail de plus en plus efficace – produire plus, plus vite et moins cher avec moins d’effort – s’accompagne d’une organisation réglée, millimétrée et maîtrisée. La production de masse est menée à travers des critères de performance (travail) et de rationalité (organisation). Pourtant, au gré des limitations du modèle taylorien et face aux nouveaux enjeux du XXème siècle – différentiation, créativité, agilité et intelligence collective – , auxquels se sont ajoutés plus récemment l’optimisation et la numérisation des activités, un nouveau modèle a vu le jour avec plus de considération pour le “facteur humain” et l’individu au sein du collectif. Le travail s’y veut innovant, émancipé.
L’organisation évolue alors vers des modèles d’interaction flexibles, incitateurs d’autonomie et d’épanouissement personnel. Ainsi, progressivement érigée comme inconditionnelle et irremplaçable au sein des organisations, la communication a donné l’impression du retour des individus et de leurs interactions comme fondamentaux du fonctionnement des institutions et des entreprises, au bénéfice d’un renouveau plus humain de la valeur travail. Pourtant, au fur et à mesure des injonctions d’échange, des impératifs de brainstorming, des astreintes journalières à l’exercice de la réunion ou encore des contraintes réglementaires de transparence, la communication – prisonnière des contingences de décision (Simon, Administrative Behavior, 1947) ou de résolution de conflit (March et Simon,Organizations , 1958), d’entente, de coordination forcées (Mintzberg, The Structuring of the Organizations, 1978) ou de pouvoir désincarné (Crozier et Friedberg, L’acteur et le système, 2014) – compromet de plus en plus le bon fonctionnement des organisations et l’exercice apaisé du travail, allant même jusqu’à imposer artificiellement un nouveau « bien-être » au travail. La communication serait-elle devenue le facteur subversif des organisations et du travail ?
Cette remarque nous amène à un questionnement singulier : confronter les logiques conflictuelles entre travail et communication mais aussi entre communication et organisation, en lieu et place de la séparation habituelle et presque qu’académique entre les trois notions devrait aboutir à une meilleure compréhension du phénomène. D’un côté la sociologie du travail, axée sur le rapport entre un système technique logistique et programmatique du travail et un système des relations, vise à mieux comprendre le collectif dans son activité commune. La communication y apparaît comme essentielle à la mise en action pacifiée des « ressources » mais manque le rapport au comment. De l’autre, la sociologie desorganisations, intéressée par l’équilibre des rapports de force et de pouvoir, éclaire la coordination des acteurs et de leurs expertises. La communication est, ici, souvent apparentée à un rouage social dans la mécanique du management et c’est en ça qu’elle rate le pourquoi.
Dès lors, l’originalité de cet Hermès Travail, incommunication et organisation réside dans l’apport de l’incommunication – situation où la communication avec l’autre ne marche pas – pour mettre en lumière une perspective systémique et relationnelle où la communication n’assure plus les concertations requises. L’incommunication devient une nouvelle grille de lecture visant à identifier les décalages, les négociations, les conflits, les controverses et les compromis. L’incommunication donne à penser différemment les échanges au-dedans et au dehors des organisations et le sens qu’ils impulsent à la valeur travail. Alors que le conflit est souvent considéré en science des organisations ou en science du travail comme une limite ou un échec – respectivement une situation d’opposition entre personnes et entités ou un acte de résistance d’un groupe par rapport à un autre – il sera pour nous un point de départ de réflexion. Tout commence quand apparaissent les blocages.
Nous proposons une lecture croisée entre
1. ceux qui communiquent dans l’organisation (interroger les pratiques des communicants, l’évolution de leur expertise, les contradictions entre professionnels selon leur média et leur rapport à la stratégie de l’organisation, l’apparition des IA, les transformations de leur travail et ses conséquences),
2. ce qu’ils expriment à l’intérieur et vers l’extérieur (mesurer l’impact des messages, le décalage entre externe et interne, les obligations légales notamment financières et environnementales et les injonctions contradictoires pour le personnel des organisations),
3. ce que cette communication qui organise et régit implique comme rupture pour ceux qui la subissent dans le travail (du) quotidien (prendre la mesure des nouvelles modalités bien souvent subies – travail hybride, télétravail, horaires décalés, espaces ouverts, plateformisation – et les interactions induites, les actes de résistance),
4. ce qui se déploie vers la société (considérer la place des organisations au sein de la société, les enjeux sociétaux liés aux entreprises, institutions et organismes mais aussi la place du bien vivre, intégrant la valeur travail, le rôle du normatif)
Ce cheminement a pour ambition de mieux cerner les maux qui gangrènent les organisations, aux dépens de l’activité et du travail, à travers plusieurs dimensions où la considération des relations, des affrontements, des conflits et des négociations (incommunication) prend le pas sur la transmission la plus efficace du message (communication instrumentalisée).
Date de soumission des intentions (2 000 signes espace compris, hors bibliographie) : 29 septembre 2025 minuit
Notification d’acceptation ou de refus : à partir du 3 novembre 2025
Envoi des articles (15 000 signes espace compris) : février 2026
Evaluation et réécriture | février à mai 2026
Remise du numéro complet | juin 2026
Parution de l’Hermès H98 | Septembre 2026
Les intentions (2 000 signes hors bibliographie) sont à envoyer à benoit.cret@univ-grenoble-alpes.fr, t_libaert@yahoo.fr et lionel.lavarec@3ds.com. Elles présenteront le sujet et le lien à la problématique du numéro.