[AAA] La communication à l’épreuve des risques : questions empiriques et enjeux épistémologiques

Le risque est devenu une préoccupation majeure des sociétés contemporaines, en témoigne la prégnance dans la vie sociale des questions et controverses autour de l’alimentation, du nucléaire, des substances chimiques, de la pollution de l’air, de la ressource en eau, des vaccins, etc. Les recherches en Sciences humaines et sociales (SHS) ont analysé le processus de mise en visibilité des risques, leurs reconnaissances publiques et leur inscription à l’agenda des autorités publiques (Borraz, 2008). Un nouveau régime des alertes s’est progressivement imposé dans l’espace public avec la multiplication des controverses autour des risques sanitaires et environnementaux, liant scénarisations du futur à l’expérience sensible d’individus exposés aux risques dans des milieux en interaction (Chateauraynaud et Debaz, 2017). Ces controverses sont aussi des problèmes globaux caractérisés par la montée en puissance de l’expertise scientifique transnationale et des instances de régulation transnationales du risque ainsi que par les transformations des modes de gouvernement (Boudia et Henry, 2015). Cette mondialisation des risques est le corollaire de la fabrication des « non- problèmes » autour des risques par l’industrie qui déploient de multiples stratégies pour soustraire du débat public les sujets les plus préjudiciables à ses activités : éloigner les risques du regard des citoyens en produisant de l’ignorance scientifique, lutter contre l’émergence de nouvelles connaissances en orientant les financements ou techniciser les sujets pour construire les normes avec les experts de l’État en toute discrétion (Henry, 2021).

Cette question des risques est aussi analysée plus spécifiquement par les recherches en sciences de l’information et de la communication (SIC). Elles ont notamment permis d’actualiser plusieurs perspectives théoriques telles que les théories de l’espace public à partir des risques santé-environnement (Suraud, 2014), de l’agir communicationnel à partir des risques technologiques (Chaskiel, 2014), des problèmes publics à partir des risques climatiques (Comby, 2015), sanitaires (Arquembourg, 2016) et industriels (Chavot et al., 2021), etc. S’intéresser à la gestion des risques et à ses enjeux communicationnels permet ainsi de proposer des analyses critiques des transformations récentes des façons de savoir, des formes d’expertise, des controverses socio-scientifiques et des formes de gouvernement, et notamment d’interroger comment ces mutations transforment les enjeux publics, les relations de pouvoir, les identités et les imaginaires des publics (Chambru, 2021). Cela permet notamment de montrer comment la vulgarisation scientifique participe à la dépolitisation des risques (Bodin, 2022). Cela permet aussi d’analyser comment les médias rendent visible ou non les risques (Rouquette et Bihay, 2022) et comment cette mise en discours des risques construit des cadres communicationnels spécifiques par lesquels les publics accèdent à la connaissance des risques (Garcin-Marrou et Goepfert, 2017). Cette exposition médiatique des risques permet également d’analyser les rapports entre les journalistes et leurs sources ainsi que les tendances propres au champ journalistique.

En croisant les approches, les méthodes et les corpus théoriques empruntés aux autres disciplines des SHS, les chercheurs en SIC contribuent ainsi à une approche holistique des risques interrogeant les héritages et les enjeux épistémologiques propres aux SIC qui se sont construites comme une interdiscipline (Allard-Huver, 2021). Simultanément, les mutations du travail scientifique impulsées par le fonctionnement de la recherche sous la forme d’appel à projet et de programmes de structuration de la recherche dits « d’excellence » conduisent les chercheurs en SIC à construire de nouvelles perspectives de recherche inter et transdisciplinaire. Ces dernières sont plus ou moins « radicales », au sens où elles croisent et coordonnent – à des degrés divers – des approches disciplinaires fortement distinctes et des acteurs sociaux divers, avec une méthodologie commune, afin d’étudier un objet commun autour des risques. Celui-ci peut être lié aux crises, aux catastrophes, à l’information dite « préventive », à la sensibilisation, etc. Dans ce contexte, les SIC ont tendance à se retrouver mobilisées de prime abord pour produire un « savoir utilitaire » orienté vers une « efficacité » en termes de « gestion opérationnelle » (Chambru et De Oliveira, 2021a). Cela nécessite alors un travail de dé(con)struction des questions préalablement définies par les commanditaires afin de définir une approche scientifique du problème public (Ferron et Le Bourhis, 2020).

En SIC, l’interdisciplinarité est cultivée par l’enquête et les déplacements sur le terrain relevant d’une relation sociale avant tout communicationnelle (Babou, 2011). Cette approche du « terrain » appelle alors, au-delà de l’expertise méthodologique et de la réflexivité du chercheur, à l’analyse rigoureuse des situations de communication vécues dans la pratique de recherche (Le Marec, 2002). Dans ces situations, la communication sur les risques se déploie sous diverses formes. Il ressort par exemple le souhait de fabriquer du consensus face aux risques du gaz de couche de charbon (Stein, 2021), ou de déployer une information préventive face aux risques naturels (Chambru et De Oliveira, 2021b). Communiquer offre en effet la possibilité aux entreprises ou aux autorités de tenir à l’écart de l’espace public les conflictualités socio-environnementales soulevées par ces risques, c’est-à-dire à sélectionner les problèmes légitimes, leurs enjeux et leurs définitions. Lors des dispositifs info – communicationnels sont déployés afin d’apaiser les conflictualités, ceux-ci tendent alors à radicaliser les positions des uns et des autres, tout en donnant aux publics engagés l’impression d’être instrumentalisés par les pouvoirs publics.

Ce dossier entend rassembler des contributions proposant une analyse réflexive des chercheurs en SIC enquêtant sur la communication des risques vis-à-vis de leurs postures de recherches et de leurs manières de procéder sur le terrain. Les propositions auront donc comme objectif de nourrir des pistes de réflexion méthodologique et épistémologique, en explorant des questions posées par et dans l’enquête de terrain selon l’un des trois axes suivants et à partir de différents domaines de l’action publique liés aux risques. Ces axes et les questions soulevées ne sont pas limitatifs.

Axe 1 : Les risques comme objet d’étude en SIC

Comment les SIC s’approprient et travaillent les enjeux sociétaux liés aux risques en quoi cela produit (ou non) de nouveaux questionnements sur la communication ? Comment ces recherches sur les risques affectent-elles les objets, les thématiques, les pratiques de recherche des SIC ? Comment les chercheurs vivent éventuellement le conflit entre identité professionnelle et conviction personnelle et quels effets cela induit sur les modalités de production des connaissances scientifiques ?

Axe 2 : Les risques de/et l’injonction à l’interdisciplinarité

Que produisent les transformations du contexte des politiques des risques et des politiques de recherche sur les dynamiques de production scientifique et notamment l’enquête de terrain ? Comment s’articulent alors injonction à l’interdisciplinarité, enjeux méthodologiques et retombées scientifiques dans le champ disciplinaire ? Quelles sont les méthodes de travail mises en œuvre par les chercheurs en SIC dans ces collectifs interdisciplinaires de recherche autour des risques ? Comment s’établissent les rapports de force entre les disciplines et quelles sont les formes de contraintes, ou au contraire d’opportunités, qui apparaissent ?

Axe 3 : Les risques de/et la recherche commanditée

Comment les enquêtes autour des risques se construisent, se déroulent et se finalisent en pratique, notamment dans le cas de recherche « commanditée » ou financée par une institution publique avec une attente de résultats opérationnels ? Quelles difficultés peuvent être rencontrées et quels leviers sont mis en œuvre afin de les surmonter pour répondre – parfois simultanément – à une demande institutionnelle de « solutions » par rapport à un problème cadré et à une problématique scientifique « personnelle » ? Comment faire lorsque que les dispositifs info-communicationnels sont non seulement sur-évalués en tant qu’outils « performatifs » liés aux changements de comportements mais également révélateurs d’une stratégie de dépolitisation des questions sociétales ?

Sélection des propositions

La sélection des propositions de contribution se fait en deux temps :

  • sur la base d’un résumé de 1 500 à 2 000 mots (hors bibliographie) qui présentera les objectifs, l’argumentation et l’originalité de la proposition ainsi que quelques orientations bibliographiques,

  • pour les résumés retenus, une seconde évaluation sera réalisée sur la base des articles définitifs.

Les instructions aux auteurs, à respecter scrupuleusement, sont disponibles sur le site de la revue.

L’évaluation sera assurée de manière anonyme par au moins deux lecteurs du comité.

L’envoi des résumés au format Word (.docx) ou OpenDocument (.odt) se fait aux adresses suivantes :

  • mikael.chambru@univ-grenoble-alpes.fr

  • jean-philippe.de-oliveira@univ-grenoble-alpes.fr

au plus tard le 15 mars 2024

Les propositions d’articles et les articles définitifs d’une longueur de 35 000 à 40 000 signes (espaces, notes de bas de page et bibliographie compris) peuvent être soumis en français ou en anglais. Les articles définitifs sont publiés en français pour la version papier du numéro de la revue, français (et le cas échéant en anglais) pour la version électronique. Aucun engagement de publication ne peut être pris avant la lecture du texte complet.

Calendrier

  • 15 mars 2024 : soumission des résumés pour évaluation
  • 15 avril 2024 : notification de l’acceptation ou du refus
  • 1er septembre 2024 : soumission de la version complète des articles
  • 20 octobre : envoi de la deuxième évaluation
  • 20 décembre : réception de la version définitive des articles
  • Juin 2025 : publication du dossier dans le numéro 64 d’Études de communication

Comité de lecture

  • Nataly Botero (CARISM, Université Panthéon-Assas)
  • Marie-Eve Carignan (FLSH, Université de Sherbrooke, Canada)
  • Isabelle Garcin-Marrou (ELICO, Université Lyon 2)
  • Lise Jacquez (ComSoc, Université Clermont-Auvergne)
  • Guillaume Le Saulnier (CEREP, Université de Reims Champagne-Ardenne)
  • Nathalie Lewis (DSTD, Université du Québec à Rimouski, Canada)
  • Grégoire Lits (ORM-ILC, Université catholique de Louvain, Belgique)
  • Grégoire Molinatti (LCF, Université de la Réunion)
  • Nelly Pares (CESCO, Muséum national d’histoire naturelle)
  • Marie-Gabrielle Suraud (CERTOP, Université Toulouse 3)
  • Marieke Stein (FoAP, ENSTA Bretagne)

Bibliographie

Des DOI (Digital Object Identifier) sont automatiquement ajoutés aux références par Bilbo, l’outil d’annotation bibliographique d’OpenEdition.Les utilisateurs des institutions abonnées à l’un des programmes freemium d’OpenEdition peuvent télécharger les références bibliographiques pour lesquelles Bilbo a trouvé un DOI.

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