[AAC] Classes moyennes, classes d’encadrement ?

Si l’existence des classes moyennes et la partition de la société en trois grandes classes semblent aujourd’hui relativement acceptées, les questions relatives aux délimitations et au volume de ces classes intermédiaires, de leurs positions dans les rapports sociaux et de leurs rôles politiques restent largement ouvertes. Du côté des approches globales des « classes moyennes », les travaux statistiques semblent toujours hésiter sur les variables permettant de délimiter ce groupe social. Qu’elles insistent tour à tour sur les niveaux de revenu (Bigot et Langlois, 2011), les catégories socio-professionnelles, les patrimoines (Piketty, 2019), les diplômes ou encore les pratiques culturelles, un flou définitionnel persiste et entraine souvent le débat vers des oppositions aussi tranchées que binaires : unité ou hétérogénéité, déclin ou extension ?

Du côté des travaux nourris par les méthodes qualitatives, les groupes sociaux intermédiaires sont souvent appréhendés à l’aune de notions éparses, relatives à des terrains localisés et des sous-champs disciplinaires plus ou moins cloisonnés. Dans la sociologie du travail et des professions, ces acteurs sont par exemple abordés à travers les notions de « cadres », de « managers » ou d’« acteurs pivot » (Boltanski, 1982; Ughetto, 2010; Benedetto-Meyer, Hugot et Ughetto, 2021) ; dans les relations internationales ou les relations clientélaires, à travers celle de « courtiers » (brokers) (Diani, 2003; Laurens, 2015) ; dans l’action publique, à travers celles de « cadres intermédiaires de la fonction publique » ou encore de « militants institutionnels » (Politix 2005; Barrier, Pillon, et Quéré 2015) ; dans les études urbaines, celles de « pavillonnaires » ou de « gentrifieurs » (Tissot 2011; Espaces et sociétés 2012; Collet 2015).

Ces hésitations théoriques sont, en partie, le fruit d’un double héritage : celui du marxisme et des théories de la moyennisation de la société française. Durant les années 1970, les théories marxistes ont majoritairement refusé d’envisager la lutte des classes en dehors d’une dynamique binaire et par là de reconnaitre un rôle politique autonome joué par les classes moyennes en développement (Baudelot, Establet, Malemort, 1974 ; Poulantzas, 1974). Comme l’explique Catherine Bidou, « quels que soient les points de vue, les travaux qui ont abordé les nouvelles classes moyennes, sur lesquelles on ne pouvait plus faire l’impasse tant elles étaient présentes numériquement, les ont généralement réduites à une fraction des deux grands pôles traditionnellement antagonistes, prolétariat et bourgeoisie, sans jamais concevoir qu’une quelconque autonomie puisse leur être accordée » (Bidou, 2002, p.113). Si un ensemble de travaux ont au début des années 1980 pris pour objet les « nouvelles classes moyennes », notamment à travers leur inscription dans l’espace urbain (Bidou, 1984), ce courant de recherche s’est rapidement éteint avec le déclin général de la sociologie des classes sociales, laissant ainsi en jachère un ensemble d’hypothèses et de perspectives de recherche jamais poussées à leur terme. Dans les années 1980 et 1990, ce vide a surtout été occupé par le paradigme de la moyennisation de la société française qui aura, paradoxalement, entrainé la fin d’une sociologie des classes moyennes. Emmenés par Henri Mendras (1988) au sein du collectif Louis Dirn (1990), ces travaux annoncent une dissolution de la structure de classes sur la base de l’analyse d’une réduction des inégalités socio-économiques et d’une homogénéisation des pratiques culturelles, aboutissant à la constitution d’une vaste « constellation centrale » sur les cendres du déclin de la classe ouvrière et de la « fin des paysans » (Bosc, 2008). Cette thèse, qui a fait l’objet de nombreuses critiques méthodologiques (Lipietz, 1996), a par ailleurs été rapidement infirmée par la remontée des inégalités (Bihr et Pfefferkorn 2021).

Après son déclin, la sociologie des classes sociales connaît depuis vingt ans un renouvellement important. Les études statistiques récentes ont permis une compréhension renouvelée des logiques contemporaines de stratification sociale (Chauvel 2001 ; Goux et Maurin 2012 ; Hugrée, Penissat, et Spire 2017). L’étude de la bourgeoisie et des classes dominantes (Pinçon et Pinçon-Charlot 2007 ; Denord, Lagneau-Ymonet et Thine, 2011 ; Cousin et Lambert, 2019 ; Geay 2019), d’un côté, et celle des classes populaires (Schwartz 1990; Siblot et al. 2015; Collectif Rosa Bonheur 2019; Masclet et al. 2020; Barbier, Cuny et Gaborieau, 2020), de l’autre, ont remis au goût du jour l’étude des rapports sociaux de classe et ont permis de travailler certains angles morts des théorisations des années 1970. L’utilisation de la notion de « classes populaires », par exemple, a permis de transcrire une réelle diversité interne des mondes populaires et des formes de leur exclusion/inclusion dans les différents domaines de la vie sociale tout en posant de front la question des fragmentations et des convergences qui les traversent (Schwartz 2011; Lechien et Siblot 2019; Talpin et al. 2021). Si certains travaux ont ouvert la voie (Chauvel, 2006 ; Bouffartigue, Gadéa et Pochic, 2011), les classes moyennes ne semblent pas avoir fait l’objet d’un tel réinvestissement : c’est ce que ces journées d’étude se proposent d’amorcer. En 1989, Alain Bihr publiait Entre bourgeoisie et prolétariat. L’encadrement capitaliste. Écrit dans une période de déploiement du néolibéralisme en France, cet ouvrage proposait une théorisation marxiste du rôle politique joué par les classes moyennes à travers la notion de « classe d’encadrement capitaliste ». Trente ans plus tard, dans un contexte sociopolitique très différent, il nous semble que ce cadre théorique, qui a pourtant laissé peu de traces, ouvre des voies toujours fécondes pour penser les rapports sociaux de classes et les rapports de pouvoir qui en découlent.

En s’inscrivant dans le prolongement critique d’un ensemble de travaux précédents (Baudelot, Establet, et Malemort 1974; Poulantzas 1974), et en faisant aussi écho à d’autres travaux (voir la controverse autour de : Monjardet et Benguigui 1982), A. Bihr défendait dans son ouvrage la thèse selon laquelle « la structure de classe des formations sociales capitalistes met aux prises non pas deux mais trois classes fondamentales » (Bihr 1989, p. 1). Entre la bourgeoisie et le prolétariat, il dessinait les contours d’une classe d’encadrement dont la nature et la fonction conduisent à penser la domination du capital au-delà des seuls rapports de production et en replaçant au centre de l’analyse la question de la place occupée dans la division sociale du travail : « Il ne s’agit pas seulement du personnel d’encadrement des entreprises capitalistes, mais aussi bien de celui des appareils d’État, des professionnels de la vie syndicale et politique, des animateurs sociaux et culturels, etc. Bref de tous ceux qui, dans la division sociale du travail se voient confier les taches d’encadrement (d’organisation, de conception, de légitimation, de contrôle) des groupes sociaux, des pratiques sociales, des rapports sociaux, dont la fonction générale est d’assurer la reproduction globale du capital, c’est-à-dire sa domination non pas sur le seul acte social de travail […], mais plus largement sur la société dans son ensemble et à tous ses niveaux (économique, social et politique) » (p. 1-2). Dès lors, cette classe « n’est pas seulement une classe moyenne ou médiane, mais, avant tout une classe médiatrice indispensable à la reproduction des rapports de production capitalistes, en tant que relais entre la bourgeoisie privée ou publique, à qui sont dévolues les fonctions de direction, et le prolétariat, ouvrier ou employé, voué aux tâches d’exécution » (Garnier, 2011).

Dans cette optique, l’encadrement rassemble quatre grandes sortes de tâches, qui peuvent dans certains cas être cumulées : conception, organisation, contrôle et inculcation. Cette classe regroupe donc une diversité de professions et de statuts sociaux, dont la délimitation est elle-même un enjeu : cadres et professions intermédiaires du secteur marchand (managers, contremaîtres, etc.), du public (fonctionnaires ou contractuel·les), ou du secteur à but non lucratif (travailleur·ses sociaux, professionnel·les politiques et syndicaux), professions intellectuelles (enseignant·ses, chercheur·ses), etc. Cette diversité a souvent été l’objet de critiques. C’est la raison pour laquelle il est pertinent, à ce stade, de parler des classes d’encadrement au pluriel. D’autant que, s’il est clair à l’époque où écrit A. Bihr que les classes moyennes sont sorties gagnantes du fordisme et des dites « Trente glorieuses », un certain nombre de transformations récentes, survenues notamment au sein du monde du travail (dérégulation du salariat, fragilisation de la fonction publique), tendent à précariser certaines fractions des classes moyennes et à en renforcer certaines autres (on peut penser aux métiers des nouvelles technologies ou du consulting : Thine et al., 2013). Des phénomènes qui ont pu entretenir des divisions au sein des classes moyennes.

À travers ces journées d’étude, nous souhaitons favoriser la rencontre de plusieurs épistémologies et approches théoriques autour d’un questionnement commun sur les rôles sociaux et politiques d’encadrement et d’intermédiation investis par les diverses fractions de ce qu’on nomme assez communément les classes moyennes. Si cet appel se centre sur les rapports de classes, nous encourageons toutes les propositions qui montreront comment ces enjeux s’articulent, se nourrissent ou entrent en tension avec les autres rapports sociaux qui traversent le monde social (de sexe, de race, de sexualité, d’âge, etc.). Les propositions de communications pourront s’inscrire dans l’un des trois axes suivants. Si le cadre épistémologique déployé s’appuie surtout sur des références françaises, cet appel encourage bien sûr les propositions faisant état de terrains et de références provenant du reste du monde (par exemple, les débats anglophones sur la « service class » et la « middle class »).

1. Délimiter et historiciser les classes moyennes : approches théoriques et contextes historiques

Le premier axe vise à délimiter et à historiciser la catégorie dont il est question. « Classes moyennes », « nouvelles classes salariées », « petite bourgeoisie intellectuelle », « classes intermédiaires », etc. : les groupes sociaux intermédiaires font l’objet d’une multitude d’appellations qui témoignent du flou persistant quant à leur définition et au statut théorique et analytique qui leur est dévolu. Une première ambition pourrait être, assez classiquement, de décrire les diverses fractions qui composent aujourd’hui les classes moyennes ainsi que les frontières et marges qui les différencient des classes dominantes et populaires en s’appuyant sur la question de leur inscription dans les rapports sociaux et politiques et des rôles d’intermédiation ou d’encadrement qu’elles assurent. De quels groupes socioprofessionnels spécifiques sont-elles composées (par exemple, doit-on ou non y inclure certaines fractions du groupe des « cadres ») ? Peut-on retracer les étapes du développement démographique de ces différents groupes, couches et fractions de classe ? Quelle représentation de la structuration interne de ces classes (tripartition, pyramidale, en sablier…) (Astarian et Ferro, 2019) ? Une deuxième ambition de cet axe serait d’historiciser les étapes du développement des classes moyennes et leur rôle dans différents mouvements de fonds et événements qui ont marqué l’époque contemporaine tels que l’affirmation de l’État et du capitalisme, le développement de la république, du mouvement ouvrier et son institutionnalisation, l’avènement du fordisme, de l’Etat social et de la social-démocratie, la massification de l’accès à l’école, la constitution des luttes féministes et des décolonisations et luttes post-coloniales, l’émergence des « années 68 » et du tournant néolibéral, le surgissement des révoltes de 2005, du mouvement contre le Contrat première embauche ou encore du mouvement des « Gilets jaunes ». Un troisième questionnement serait d’interroger comment l’inscription dans ces différentes séquences historiques a eu des effets sur les manières mêmes de penser ou, souvent, d‘occulter ces groupes sociaux. Nous encourageons ainsi toutes propositions qui contribueraient à une histoire sociale des idées ainsi qu’à des approches socio-historiques prenant pour objet les classes moyennes, leurs délimitations et leurs rôles politiques et historiques (acteurs de la républicanisation de la société, avant-garde du prolétariat, etc.). On pourrait enfin mettre à l’épreuve le paradoxe d’une histoire des classes moyennes écrite par ces dernières.

2. Les spécificités de l’intervention des catégories intermédiaires dans les rapports sociaux et politiques

Le second axe accueillera toutes les propositions visant à étudier les manières dont ces classes agissent concrètement sur le monde social et les inégalités qui le traversent, que ce soit en contribuant à les reproduire ou en cherchant à les transformer (et, parfois, les deux à la fois). La reproduction de la domination au sein du monde social est en grande partie assurée à travers le monde du travail et les différentes fonctions professionnelles médiatrices exercées par les acteurs et actrices de l’encadrement – A. Bihr parlait de « travail de domination ». Managers de l’entreprise privée et de l’économie capitaliste (Dujarier, 2017 ; Bernard, 2017 ; Duménil et Lévy, 2018) ; agent·es de la fonction publique (street-level bureaucrats, cadres intermédiaires ou hauts fonctionnaires, fonctionnaires ou contractuel·les) (Dubois, 1996; Barrier, Pillon et Quéré, 2015) ; professions intellectuelles (enseignant·es, chercheur·ses, journalistes, artistes, etc.) ; professionnel·les de la politique (pour une revue de littérature, voir : Michon et Ollion, 2018) ; travailleur·ses sociaux et associatifs (Hély, 2009 ; Astier, 2010 ; Autès, 2013) ; encadrant·es des fonctions du care (Collectif Rosa Bonheur, 2017) : il convient d’étudier comment les membres de cette diversité d’acteurs mettent en œuvre les tâches d’organisation, de conception, de légitimation, de contrôle qui leurs sont dévolues et les formes de régulation et de bureaucratisation qui encadrent ce travail. Comment répondent-ils et elles aux impératifs qui leur sont imposés et comment se saisissent-ils et elles ou non des marges de manœuvres mises à leur disposition (Flocco, 2015) ? Ces interrogations peuvent notamment être l’occasion de remettre sur le métier l’idée de domination bureaucratique développée par Max Weber en étudiant les pratiques des acteurs qui reproduisent cette dernière et, par là même, ne manquent pas d’en être eux-mêmes les sujets. Quid des effets des frontières plus ou moins poreuses entre les règles et pratiques régissant les bureaucraties publiques et privées, notamment à travers les principes du management public, sur les acteurs de l’intermédiation et de l’encadrement (Breton et Perrier, 2018; RFAP, 2018; RFSP, 2020) ? Les proposant·es sont aussi encouragés à articuler les questions spécifiques liées au travail avec d’autres enjeux, notamment les productions spatiales et culturelles de ces acteurs. En dehors du monde du travail, la sociologie urbaine ou les études rurales montrent comment l’affirmation sociale et culturelle des classes moyennes passe par l’encadrement des espaces et des formes de leur développement (Tissot, 2011; Collet, 2015; Gilbert, 2016; Barrault-Stella, 2016 ; Cayouette-Remblière, 2020). Quid de l’inscription de tels résultats sous l’angle de la classe d’encadrement ? Une hypothèse serait par exemple que la territorialisation de l’action publique représenterait une dynamique centrale à travers laquelle les classes moyennes se seraient assurées une position, sinon hégémonique, du moins confortable au sein du capitalisme néolibéral, notamment dans les villes. Pourtant, les acteurs dont le travail se situe du côté de l’encadrement fournissent en même temps les rangs des mouvements de protestation contre les formes marchandisées qui régissent le développement de ces espaces, ce qui montre l’importance du (dé)couplage théorique entre implications dans le travail et engagements annexes, et leurs conséquences en termes culturels. Si toute classe sociale, même dominée, se définit par une autonomie culturelle relative (Grignon et Passeron 1989), on peut penser que les classes moyennes sont d’autant plus susceptibles de développer une telle autonomie que leurs formations et les tâches qu’elles réalisent leur assurent une maîtrise, parfois à tendance monopolistique, des compétences de production et de légitimation culturelle, quand bien même elles sont travaillées par les normes culturelles définies par les classes supérieures (Bourdieu, 1979). Reste à savoir si cette position de pouvoir relatif est utilisée sur un mode individuel, ou dans quelle mesure elle nourrit une prétention à changer le monde social et les comportements des autres, et notamment des autres classes sociales, ou bien une aspiration à l’ascension sociale conduisant à promouvoir les normes et comportements propres aux classes supérieures. Plusieurs domaines de l’agir et des préférences des classes moyennes pourront ainsi être interrogés tels que le rapport à l’argent (consommation, patrimoine, investissement) (Bessière et Gollac, 2019), le cosmopolitisme (les voyages) (Le Renard 2019), la valorisation des activités non (ou moins) lucratives (ESS notamment) (Brusadelli, Lemay et Martell, 2016), la défense de l’environnement (Billemont 2006), le rapport au corps et à la santé, l’investissement dans l’habitat, etc.

3. Classes « pour soi » ou « malgré soi » ? Auto-mystification, conscience et alliances de classe des catégories sociales intermédiaires

Ce dernier axe aborde la question de la conscience d’appartenir aux classes moyennes. Il part d’un paradoxe : si deux-tiers des français estiment appartenir aux classes moyennes (Damon, 2012), il semble plus difficile pour leurs membres d’inscrire leurs propres actions et représentations dans la structure générale des rapports sociaux et par-là de questionner leur rôle politique au sein de ces rapports (Lamont, 1992). Les membres des classes moyennes ont-ils conscience de la position spécifique qu’ils et elles occupent ? Assument-ils et elles de se battre pour la défendre ? Ou bien se (re)présentent-ils et elles comme membres voire comme défenseurs d’entités plus vastes comme le « peuple », les « 99 % », la « nation », l’« avant-garde » ? Ici, il sera crucial d’interroger la dimension intersectionnelle : comment les positions que les groupes sociaux intermédiaires occupent au sein des rapports de genre, de race, de sexualité, d’âge, etc., ont-elles des effets sur leur expérience de classe ? Sont-elles (vécues comme) des freins ou des leviers ? Certaines identités sont-elles subies, tues par ces groupes et d’autres mises en avant voire « politisées » (Baudelot et Establet, 2005; Chevallier, 2020; Bouvard, 2020; Talpin et al., 2021) ? Selon A. Bihr, les acteurs de l’encadrement ont en commun un « intérêt au brouillage idéologique » quant à leur existence en tant que classe : « la plupart du temps, [la classe d’encadrement] a passé et passe encore pour une inconnue, même à son propre regard » (p. 7). Ainsi, les acteurs de l’encadrement ne pourraient réaliser leur « travail de domination » qu’à travers une « auto-mystification » et une « méconnaissance » de leur propre rôle (p. 7). On rejoint finalement ici la proposition théorique de P. Bourdieu sur la violence symbolique. Les propositions sont, ici, incitées à documenter ces formes de méconnaissance, de doute, de contournement ou au contraire de conscientisation des rapports de classe. L’idée de « ternarisation » ou de « triangulation », utilisée pour penser les modes d’identification et de différenciation à travers lesquels les classes populaires pensent leur inscription dans le monde social par rapport à un « haut » et à un « bas » (Schwartz 2011; Lechien et Siblot 2019; Masclet et al. 2020) pourrait par exemple être adaptée de manière stimulante pour décrire l’expérience sociale des classes moyennes Enfin, la réflexion sur les classes moyennes ne peut faire l’impasse sur ce qui constitue d’une certaine manière le prolongement stratégique de cette approche par la conscientisation : la question des alliances de classe. Quels liens les classes moyennes entretiennent-elles avec les classes populaires et avec les classes supérieures ? Domination, hégémonie, coopération, lutte : comment qualifier les rapports sociaux de classes qui constituent l’encadrement capitaliste (Delfini, 2017) ? Dans quelle mesure certains groupes sociaux encadrants agissent-ils consciemment dans l’optique de s’imposer aux catégories supérieures ou populaires, ou bien de s’allier ou faire corps avec les unes ou les autres ? À la croisée de préoccupations tant scientifiques que politiques, cette question interroge la nature et l’intensité de ces alliances construites par certaines fractions des classes moyennes avec d’autres fractions des classes dominantes ou dominées. Peu investiguée, cette question permet d’ouvrir la boite noire organisationnelle et idéologique qui fait le socle de ces alliances (Bihr, 2012). Les contributions sont donc ici invitées à documenter les manières dont les acteurs et actrices intermédiaires, partant d’une certaine représentation de leur position et de leur rôle, cherchent à nouer des alliances avec certains groupes sociaux et à construire des oppositions avec d’autres. Dans différents types de territoires, quelles coalitions sociales et politiques ont-ils et elles à cœur de construire à travers les mobilisations, l’action publique, les élections, et en passant par quels instruments (Mattina 2016; Girard, 2017; Amable et Palombarini, 2017; Brunneau et al., 2018) ?

Modalités de soumission

Les propositions de communication pourront être envoyées à l’adresse suivante : classesdencadrement@gmail.com

jusqu’au 15 novembre 202.

Des propositions émanant de toutes les disciplines des sciences sociales et pouvant s’appuyer sur des matériaux et méthodes variées (exploitations statistiques, enquêtes par entretiens, enquêtes ethnographiques, archives, méthodes mixtes et autres) seront les bienvenues, portant sur des terrains français comme étrangers. Elles n’excéderont pas 5 000 signes (espaces compris, bibliographie non comprise), et feront état des questions, approches, méthodes, terrains et résultats qui seront présentés pendant les journées.

Comité d’organisation

Thomas Chevallier et Antonio Delfini

Comité scientifique

  • Lorenzo Barrault-Stella,
  • Pierre-Yves Baudot,
  • Anne Bory,
  • Paul Bouffartigue,
  • Joanie Cayouette-Remblière,
  • Anne Clerval,
  • Fabien Desage,
  • Anne-Cécile Douillet,
  • Matthieu Hély,
  • Florence Ihaddadene,
  • Rémi Lefebvre,
  • Alice Mazeaud,
  • Julian Mischi,
  • Ugo Palheta,
  • Étienne Pénissat,
  • Jean-Marie Pillon,
  • Olivier Quéré,
  • Yasmine Siblot,
  • Cécile Vignal,
  • Karel Yon.

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